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manifeste aussi qu’elles sont faibles de contexture. L’auteur n’a pas pris le temps de les disposer de manière à former un ensemble d’effets bien gradués. Ce sont des traits de mœurs et de caractère qu’il a saisis au vol dans le milieu où il vivait et arrangés rapidement en scènes plus ou moins détachées ; mais il nous paraît difficile qu’on puisse méconnaître ce qu’il y as dans son style de vivacité incisive et d’élégance originale marquée du double cachet de l’époque et de l’homme.

La mort de M. de Forcalquier, en 1753, termine la première période de la vie de sa sœur, Mme de Rochefort. En très peu d’années, elle avait successivement perdu sa mère, son père et ce frère aîné auquel elle était tendrement dévouée. Un autre de ses frères et ses trois sœurs avaient cessé d’exister à une époque antérieure. Il ne lui restait plus que son second frère, devenu le marquis de Brancas, qui avait fait un riche mariage, mais avec lequel elle ne vivait pas, et qui d’ailleurs n’avait pas maintenu les réunions de l’hôtel de Brancas. Sa fortune était modeste, celle de son père consistant principalement dans le produit de ses places, lequel s’élevait, d’après le duc de Luynes, à soixante-seize mille livres par an ; elle possédait cependant après la mort du maréchal, outre une pension de quatre mille livres obtenue du roi, des ressources personnelles un peu plus grandes que ne le ferait supposer une phrase déjà citée du président Hénault. Celui-ci estimait la fortune des autres relativement à la sienne, qui était énorme, et quoique nous retrouvions Mme de Rochefort établie au Luxembourg avec deux chevaux, deux voitures et un train de maison qui indique une certaine aisance, l’opulent président ne voit guère dans cette aisance que de la pauvreté. Mme de Rochefort n’aurait pas pu en effet donnée des soupers aussi somptueux, que ceux de l’auteur de l’Abrégé chronologique, mais l’attrait de ses qualités suffisait amplement pour maintenir et accroître le nombre de ses amis. Aux affections anciennes qui lui restent toujours fidèles, nous verrons donc d’ajouter des affections nouvelles. C’est elle qui sera maintenant le personnage principal du tableau. Jusqu’ici nous ne la connaissons que par le témoignage d’autrui. Nous la connaîtrons bientôt par elle-même dans une série de lettres où elle se peint et où elle peint ceux qui l’entourent avec une grâce et une vivacité de jeunesse, indépendantes de l’âge et de la maladie (car elle était souvent malade), et qui prouvent qu’elle appartenait à cette catégorie d’êtres privilégiés chez lesquels le cœur et l’esprit dominent tout le reste et ne vieillissent jamais.


LOUIS DE LOMENIE.