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budgets municipaux, de véritables traitemens déguisés sous le nom d’indemnités.

Nous ne voulons pas mettre en suspicion l’intégrité et l’honorabilité des membres du conseil-général de la Réunion. Plusieurs d’entre eux ont donné, nous le savons, des preuves d’indépendance dont on doit les louer d’autant plus que leur situation était plus délicate ; mais on conviendra bien qu’une assemblée ainsi composée n’a peut-être pas toute l’autorité nécessaire pour résister à l’administration dont elle dépend à tant de titres. Il faudrait que tous ceux qui la composent fussent des héros, et l’on ne peut pas fonder un système de gouvernement sur l’héroïsme présumé de ceux qui sont chargés de l’appliquer. En fait, l’administration de la colonie, sauf dans quelques rares occasions, a obtenu du conseil-général tout ce qu’elle a voulu, surtout depuis que les membres les plus considérables et les plus indépendans de cette assemblée s’en sont volontairement retirés, découragés par l’impuissance de leurs efforts et par l’inutilité de leur tâche. En fait, l’administration a conduit à son gré les affaires de l’île, et nous regrettons de dire qu’elle ne les a ni sagement ni heureusement conduites.

Les administrations auxquelles on laisse leurs coudées franches ne sont pas ordinairement très économes, surtout dans le temps où nous vivons. Celle de la Réunion a été particulièrement prodigue. La colonie avait autrefois une caisse de réserve qui s’emplissait dans les années de prospérité pour se vider dans les années de détresse. C’était une institution non-seulement utile, mais indispensable, dans un pays où toute la richesse repose sur une seule denrée, le sucre, dont la production, d’une année à l’autre, peut varier dans des proportions considérables. Sous le régime du sénatus-consulte de 1854, la caisse de réserve se vida dans les années de prospérité, et naturellement ne se remplit pas dans les années de détresse. De nouvelles maximes financières s’étaient introduites dans la colonie. On avait posé en principe qu’il ne fallait laisser aucune recette sans emploi, et en effet on les employait toutes. A défaut de dépenses offrant un caractère de nécessité bu seulement d’utilité, on avait recours aux dépenses de luxe. On multiplia les employés dans tous les services. La rentrée des impôts était autrefois entre les mains d’un trésorier et de quelques percepteurs ; tout ce service coûtait à peine 50,000 francs par an. On créa un receveur-général et des receveurs-particuliers ; le même service coûte aujourd’hui bien près de 200,000 francs. On acheta une maison de campagne pour le gouverneur, une maison de ville pour le directeur de l’intérieur. Enfin on consacrait une part relativement considérable du budget colonial, soit à accroître la splendeur du culte plus que ne le comportaient les ressources de la colonie, soit à