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annonces légales. Ces trois journaux, répondent assez exactement aux grandes divisions de l’opinion publique dans la colonie. La Malle et le Journal du Commerce représentent les deux opinions extrêmes. La première de ces deux feuilles est ultra-conservatrice, en religion comme en politique. Elle a été fondée, il y a quelques années, pour être dans la colonie l’organe du parti dont MM. Frédéric et Paul de Villèle, Bellier de Villentroy et François Mottet sont les chefs. La création du Journal du Commerce remonte à une vingtaine d’années. Cette feuille est placée aux antipodes de la Malle. En politique comme en matière philosophique et religieuse, elle défend les opinions radicales. Entre ces deux feuilles, le Moniteur de la Réunion occupe une situation intermédiaire. Le Moniteur est le plus ancien des journaux de la colonie. Il représentera peu de chose près, l’opinion moyenne du pays. Il est l’organe de ces gens un peu indécis peut-être, mais modérés et honnêtes après tout, qui penchent du côté de la liberté quand le pouvoir leur paraît trop fort, et du côté de la conservation quand l’ordre leur paraît menacé. Aux colonies comme en France, ce sont les journaux de cette nuance qu’il faut consulter quand on veut savoir dans quelle direction tourne le vent de l’opinion publique. Or le Moniteur, après avoir été pendant longtemps plus conservateur que libéral, commençait à devenir plus libéral que conservateur ; le Moniteur, après s’être longtemps tenu à égale distance de la Malle et du Journal du Commerce, s’éloignait de plus en plus de la Malle pour se rapprocher du Journal du Commerce. C’était un symptôme peu équivoque des dispositions de l’esprit public.

La polémique entre la Malle et le Journal du Commerce avait toujours été très vive. Elle devint plus violente encore par suite de l’arrivée dans la colonie d’un jeune écrivain que les propriétaires de la Malle avaient fait venir de la France pour renforcer la rédaction de leur journal. Cet écrivain se nommait M. Ch. Buet. Il avait fait ses premières armes dans le journal l’Univers. En moins de six semaines, il avait achevé d’exciter des passions qui avaient plutôt besoin d’être calmées. Le Journal du Commerce avait déclaré qu’il ne répondrait plus à une feuille rédigée de cette manière et montée à ce ton. Le paisible Moniteur lui-même s’était fâché. C’est à ce moment qu’il circula dans la ville, sur le compte du jeune et impétueux rédacteur de la Malle, un bruit auquel nous hésiterions à faire allusion, si M. le contre-amiral Dupré ne l’avait consigné dans son rapport officiel sur les événemens de novembre et de décembre. Suétone aurait raconté tout simplement le fait imputé à M. Buet. Voltaire aurait ajouté au récit quelques plaisanteries analogues à celles dont il criblait Desfontaines et Fréron.