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n’était égalée que par la déraison profonde de ses paroles : « Donnez-moi la république, là république la plus mauvaise, une république oligarchique, militaire, théocratique ; je la préfère à la monarchie la plus libérale. » C’est bien là en effet le pli de ces esprits qui se font le plus honnêtement du monde les esclaves d’un mot, d’une forme, qui sont en vérité les nominaux de la politique. Ils croient faire les affaires de la démocratie, ils ne font que lui préparer des défaites nouvelles en multipliant les dissidences, en morcelant toutes les forces, en opposant partout où ils le peuvent démocrates à libéraux. C’est le dernier résultat de leurs polémiques dans la presse.

Descendez plus bas, ce sont ces réunions publiques dont le corps législatif va s’occuper un de ces jours, car sur les réunions les interpellations proposées ont été admises naturellement. Ce serait certes une puérile faiblesse de livrer un droit nouveau pour quelques excès commis en son nom ; mais voilà des gens qui s’entendent merveilleusement à populariser ce droit, à désarmer les réactions ! Ce que sont ces réunions qui fonctionnent sur tous les points de Paris avec une ardeur singulière et un méthodique désordre, on ne peut pas bien le dire. Elles se régulariseront peu à peu sans doute, elles prendront place dans nos mœurs, et dès ce moment nous ne confondons pas avec ces turbulentes cohues des assemblées comme celle où l’autre jour M. Laboulaye et M. Albert de Broglie parlaient du progrès avec une libérale éloquence. Jusqu’ici, la plupart des réunions ne sont pas malheureusement sur ce modèle. Un des orateurs disait naïvement : « Je serais d’avis que nous ne pataugions plus ! » Voilà parler d’or, seulement le conseil n’est pas suivi. Le salariat, le chômage, l’organisation des industries, les relations du capital et du travail, ce sont bien là cependant des questions sérieuses, sur lesquelles des hommes compétens, même des ouvriers, pourraient venir porter d’utiles témoignages ; mais d’abord ce ne sont ni les ouvriers ni les hommes compétens qui jouent le principal rôle, c’est un personnel ambulant d’orateurs qui est à peu près partout le même, et qui varie encore moins dans, le choix des thèmes de son éloquence. Abolition de l’intérêt, abolition de la propriété, abolition de l’hérédité, que n’abolit-on pas entre sept heures et onze heures du soir ! Par exemple, il ne faut pas qu’un intrus se mêle de défendre toutes ces choses surannées, ou de dire que prendre le capital sans le gagner, c’est le vol ; celui-là est bafoué, et on se hâte d’ôter la parole à ce retardataire. Ces réunions sont le jardin où fleurit le communisme le plus pur et le moins déguisé. Nous nous souvenons d’avoir vu autrefois au Théâtre-Français une comédie d’Eugène Sue où il y avait une conspiration, et dans cette conspiration, en plein XVIIe siècle, il y avait un brave socialiste endoctrinant, si nous ne nous trompons, les habitans de Dieppe. L’honnête rêveur annonçait comment dans le futur paradis social les maraîchers arriveraient en chantant, couronnés de fleurs et offrant leurs denrées pour rien ; sur