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de nos colonies, de ces appendices lointains de notre puissance, derniers fragmens de notre empire maritime dispersés à tous les coins du monde ? Là, par suite de circonstances particulières, le régime devient tout à fait exceptionnel, l’autorité s’exerce d’une façon plus absolue encore, et sans qu’on le veuille, sans qu’on y songe, il en résulte des malaises, des chocs, qui deviennent des incidens tragiques, comme on vient de le voir à l’île de la Réunion, où cette date du 2 décembre a été ensanglantée il y a deux mois, au moment même où elle redevenait en France le thème de polémiques ardentes. Rien n’est en vérité plus étrange que ces événemens dont le corps législatif, à peine ouvert, s’est justement occupé. C’est une émeute qui n’a rien d’une émeute, et qui n’a pas moins eu des morts et des blessés comme toutes les émeutes. Notre vieille et aimable colonie de Bourbon ou de la Réunion, la sœur de l’île de France, qui est passée dans une autre famille, vit depuis assez longtemps, on le sent bien, dans un certain malaise, dû en partie à une cause générale commune à toutes nos possessions d’outre-mer, au régime colonial établi après 1852, et en partie aussi à des causes toutes locales, quelques-unes même assez récentes. Ces causes particulières sont de deux sortes : les unes tiennent à des accidens climatériques qui ont produit une véritable détresse ; les autres touchent au plus vif des opinions ou des passions politiques ou religieuses. Depuis dix ans, il s’est établi à Saint-Denis, avec une subvention du budget, une école professionnelle tenue par des pères de la Providence, et qui fait à l’industrie privée une concurrence ruineuse. Enfin les jésuites ont un collège, et c’est le malheur des jésuites de ne pouvoir être nulle part sans faire du bruit, sans traîner après eux des défenseurs turbulens. La Réunion avait, à ce qu’il paraît, le privilège d’un petit rejeton de l’Univers fraîchement débarqué pour mettre le feu aux poudres. De là une effervescence qui a dégénéré bientôt en démonstrations contre les jésuites et les pères de la Providence.

Ce n’était pas encore bien grave, puisque tout se passait au cri de vive l’empereur ; mais ici il y a eu évidemment des gaucheries, des méprises, des ordres mal donnés ou mal compris, des impatiences d’autorité d’un des principaux fonctionnaires, contre qui cette agitation était un peu dirigée. De là tout le mal, des sommations, l’emploi de la force, des morts, l’état de siège, puis le lendemain une véritable stupeur de la population et des autorités elles-mêmes en présence de ce qui venait d’arriver, et tout cela se couronnant par une convocation tardive de la milice, qui, faite à propos, eût tout empêché. Le mot de cette situation, c’est manifestement une répression très disproportionnée avec les faits, et de ces faits se dégage une vérité plus sensible encore, c’est que le régime colonial actuel, tel qu’il a été établi par les sénatus-consultes de 1854 et de 1866, ne suffit plus. Comment peut-on le réformer ? Faut-il, ainsi qu’on l’a proposé, commencer par donner immédiatement aux colonies le droit de représentation dans les assemblées politiques de la