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Rien certes n’était plus embarrassant que le rôle du général Coucha. Pendant huit jours, le nouveau président du conseil fut tout à Madrid, dictateur, ministre universel. A son arrivée, sa première pensée avait été de chercher des collègues, de former une apparence de gouvernement ; il avait songé au vieux marquis de Miraflorès, qui avait tout au moins de bonnes intentions. On n’eut pas de peine à lui faire comprendre que le temps du marquis de Miraflorès était passé, qu’en ces quelques jours tout avait changé de face, même à Madrid, où une junte révolutionnaire se tenait déjà prête, et il s’aperçut bien vite qu’il y avait moins à faire de la politique qu’à combattre. Il organisa le combat, distribuant de grands commandemens, plaçant son frère, le marquis del Duero, à Madrid, envoyant le général Eusebio Calonge du côté de Santander, qui s’insurgeait, Pezuela dans la Catalogne, où tout était à craindre, le marquis de Novaliches vers l’Andalousie avec une petite armée ramassée en toute hâte pour faire face au gros de l’insurrection. Le général Concha fit ce qu’il put, et son malheur était de ne rien pouvoir, parce qu’en réalité il ne tardait pas à sentir lui-même que tout s’en allait, qu’on serait bientôt peut-être trop heureux de faire la part du feu. Placé entre la reine, dont il tenait son autorité, et une insurrection dont il ne pouvait méconnaître la puissance, il se voyait réduit, pour ne pas laisser échapper un reste de pouvoir, pour maintenir Madrid, à entrer directement ou indirectement en pourparlers avec les chefs révolutionnaires, et son langage trahissait ses embarras. Son but unique paraissait être d’éviter une défaite trop signalée, et, selon une expression singulière de la Gazette officielle au sujet d’une tentative de la marine sur les côtes de Galice, de ne pas laisser décider isolément « des questions où devaient intervenir l’esprit du pays et l’a force de l’armée, » c’est-à-dire que par ces paroles le général Concha semblait se placer à moitié sur le terrain de l’insurrection.

A Saint-Sébastien, où la reine était restée, c’étaient d’autres agitations, d’autres incertitudes, où cette malheureuse royauté se perdait mille fois plus sûrement que dans Un combat. La souveraine, surprise par une révolution dans un coin des provinces basques, ne savait plus ce qu’elle devait faire. Fallait-il partir ? fallait-il rester ? Deux ou trois fois par jour, le train royal chauffait ou éteignait ses feux, selon le langage du télégraphe. La reine ne pouvait se décider ni à partir pour Madrid, au risque d’avoir à plier devant une insurrection triomphante, ni à ramener toutes ses forces dans le nord pour reprendre une lutte à outrance et sans concessions. C’est qu’au fond il y avait là une de ces questions intimes qui ont joué un si grand rôle dans la révolution espagnole. Sans nul doute la reine