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« En conséquence, d’accord avec les députés serbes, a été arrêté ce qui suit :

« 1o Ladite nation aura l’entière liberté de culte dans les églises qui lui appartiennent.

« 2o Le kniaze Milosch Obrenovitch ici présent, en vertu du diplôme impérial dont il est porteur et en récompense de sa fidélité à ma Sublime-Porte, est confirmé dans la dignité de premier knèze de la nation serbe, et cette dignité restera héréditaire dans sa famille.

« 3o Il continuera au nom de ma Sublime-Porte à administrer les affaires intérieures du pays, d’accord avec l’assemblée des notables serbes… »


Le hatti-chérif de Mahmoud formulait en vingt-quatre articles les droits du peuple serbe, après quoi, s’adressant encore au pacha et au mollah de Belgrade, le sultan ajoutait : « Vous agirez comme je vous l’ordonne ; puis, après avoir publié ce noble firman et l’avoir enregistré dans les actes du mékémé de Belgrade, vous le remettrez au kniaze Milosch Obrenovitch, qui doit le garder. » On lut ensuite le bérat qui donnait l’investiture à Milosch, prince actuel de la nation serbe, vrai modèle des nobles chrétiens, dont la sagesse, la probité, le dévoûment à la Sublime-Porte, sont connus du monde entier. Il y était dit que, conformément au hatti-chérif du 29 août 1830, cette dignité de prince des Serbes lui restait assurée à jamais. « Après sa mort, elle passera à son fils aîné, après lui à son petit-fils ; elle demeurera perpétuellement dans sa famille. »

Tandis que le secrétaire du pacha lisait ces pièces dans le texte original, les Turcs étaient comme frappés de stupeur. Au contraire quelle joie, quelles clameurs du côté des Serbes, lorsque Dimitri Davidovitch en donna lecture dans la traduction serbe ! Les acclamations redoublèrent au moment où Hussein-Pacha, représentant de Mahmoud, revêtit Milosch, en signe d’investiture, d’un riche manteau brodé d’or et attaché avec des agrafes de brillans. Étrange cérémonie, si glorieuse pour les uns, pour les autres si humiliante et si dure ! Pendant que les Turcs, condamnés par le commandeur des croyans, par celui dont la parole est sacrée, s’en retournaient chez eux la tête basse, Milosch, au milieu des transports du peuple serbe, se rendait à l’église de la ville, où le métropolitain, entouré de tout son clergé, le sacrait prince régnant suivant le rituel orthodoxe. Le 30 novembre 1830 est une des dates mémorables de l’histoire d’Orient au XIXe siècle ; le spectacle qu’on a vu ce jour-là, c’est la conquête de la Serbie par les Serbes proclamée dans Belgrade même, au nom du sultan Mahmoud, devant les Turcs soumis et consternés.


SAINT-RENE TAILLANDIER.