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imposé l’obligation de laisser ses enfans à Bangkok, ou ils devaient recevoir une éducation plus digne de leur naissance. En réalité, le roi de Siam voulait dans le présent s’assurer des otages et préparer pour l’avenir des instrumens à ses projets.

A la mort de son père, Norodom, grâce à l’appui de son protecteur intéressé, monta sur le trône. Si-vata, l’un de ses frères, se révolta sur-le-champ. Ce dernier prétendait au trône parce qu’il était le fils d’un roi couronné, tandis que Norodom, l’aîné, avait été conçu avant que leur père Ong-duong eût ceint la couronne dans une cérémonie solennelle considérée comme très importante d’après les rites cambodgiens. Un oncle des princes, Senong-sôo, soutint la cause de Si-vata, agita la province de Baphnum, voisine de Pnom-Penh, et le roi s’enfuit à Bangkok sans tenter de résister. Au mois de février 1862, il fut ramené dans ses états par les soldats du roi de Siam et rétabli à Houdon à la condition qu’il inaugurerait son règne par l’abandon des provinces de Compong-soaï et de Pursat, comme son père avait signalé le sien en se laissant dépouiller au profit du Laos de deux provinces limitrophes de ce pays, sur une partie duquel Siam exerce une souveraineté absolue. Pressé de posséder le pouvoir, Norodom souscrivit à tout, et le roi de Siam put être fier de son élève. A Bangkok, on prit acte de sa promesse, en déclarant toutefois qu’on n’en exigerait pas l’accomplissement, si le roi du Cambodge se montrait docile aux conseils de ses amis. Norodom n’était donc que trop bien disposé au rôle de roi vassal qu’on voulait lui faire jouer. L’arrivée des Français en Cochinchine enlevait définitivement aux Annamites, fort occupés à se défendre, toute idée de conquête, et le roi de Siam se mit en devoir de s’assimiler les restes d’une nation dont il avait en quelque sorte pétri le souverain de ses propres mains.

Les choses en étaient là au moment de la prise de Saigon. Ce court exposé permet d’apercevoir l’intérêt qui devait nous contraindre à intervenir, et aussi de pressentir les difficultés qui nous ont arrêtés quelque temps. Le moment était décisif. Les Anglais, qui ne sont cependant pas à l’étroit dans les Indes, ont vu leurs desseins contrariés par notre présence dans l’empire d’Annam. La peur qu’ils inspiraient à la cour de Siam a longtemps empêché celle-ci d’accorder aux nations européennes le droit d’avoir un consul à Bangkok. Aujourd’hui ils ont gagné du terrain, et jouissent dans les conseils du gouvernement siamois d’une influence considérable. Ils eussent tenu pour un véritable succès politique d’amener le roi Phra-maha-mongkut, fort disposé à suivre ce conseil, à s’annexer purement et simplement le Cambodge. On sait trop bien ce que cache d’ordinaire la tendresse portée par l’Angleterre à ses cliens