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qu’il lui conviendrait de fixer, une investiture solennelle qui le constituerait définitivement son vassal. L’opinion publique donnait d’avance à la cérémonie cette signification, et chacun se demandait curieusement quelle serait notre attitude. Il devenait urgent d’éclairer le roi et de lui rendre sa confiance en nous, qui paraissait fort ébranlée. M. de Lagrée n’hésita point à lui ouvrir les yeux sur une situation qui était pour la France pleine d’ennuis et pour lui grosse de périls. Norodom remercia M. de Lagrée avec effusion de ses conseils. A l’en croire, c’était la première fois qu’il voyait clairement où Siam en voulait venir. La cour de Bangkok se considérerait après le couronnement comme souveraine maîtresse du Cambodge ; mais il était résolu à tromper ses calculs. Il voulait se couronner lui-même à Houdon, en présence de son peuple, et il exprima le désir de voir le gouverneur de la Cochinchine assister à la cérémonie. Il affirma en outre que l’époque n’en était pas fixée, et qu’il saurait trouver des prétextes pour la retarder jusqu’à l’arrivée de la réponse attendue de Paris relativement au traité du protectorat. « Siam, répétait-il sans cesse, est devenu tendre avec moi. » Un pareil revirement, dont il était impossible de deviner les causes, était bien fait pour nous surprendre. Le roi de Siam annonçait par un message solennel et spécial que le couronnement aurait lieu dans quinze jours, et nous apprenions d’un autre côté que l’époque n’en était pas fixée ! Évidemment on se jouait de nous à Bangkok. M. de Lagrée dissimulait son inquiétude. Par la franchise de ses allures comme par la courtoisie de ses manières, il exerçait sur Norodom une influence toute personnelle, et, quand il se sentait maître de lui-même, celui-ci y cédait toujours. Il commit l’imprudence de témoigner publiquement son amitié aux officiers français avec une sorte d’expansion joyeuse. Ses visites à M. de Lagrée devinrent plus fréquentes ; il jouissait d’une trêve dont il aurait voulu prolonger la durée comme un écolier en vacances. Phnéa-rat, à qui ne pouvait échapper ce changement dans les dispositions du roi, savait par expérience combien il était facile de l’entraîner, et il crut le moment venu de lui faire prendre envers Siam un engagement nouveau.

On se rappelle que, lors du traité secret, le roi de Siam avait promis de se rendre dans le port cambodgien de Compot pour y attendre Norodom. Phnéa-rat annonça que son maître songeait à quitter sa capitale, et allait arriver les mains pleines de pardons. Afin de ne pas empoisonner par des embarras nouveaux la joie que Norodom devait ressentir à la flatteuse nouvelle de cette auguste visite, Phnéa-rat souscrivait d’avance à toutes les exigences des Français, et ne mettait à cela qu’une condition, c’est que Norodom s’engagerait à boire l’eau du serment en présence du roi de Siam.