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apprit, non sans surprise, qu’au lieu du roi de Siam il n’était arrivé qu’un simple mandarin chargé par son maître d’une lettre pour Norodom. Sous un prétexte quelconque, le roi de Siam s’excusait de ne pouvoir assister au couronnement, ni même venir à Compot. Il annonçait néanmoins que Phnéa-rat devait apporter la fameuse couronne quelques jours plus tard. Le roi de Siam jouit dans une partie de l’Indo-Chine bouddhiste d’une sorte de vénération religieuse analogue à celle qu’inspire aux musulmans le sultan de Constantinople. La perspective de recevoir la visite d’un tel personnage ne flattait pas médiocrement Norodom, et cette considération, qu’on fit valoir pour hâter la conclusion du traité secret, ne fut peut-être pas sans influence sur la signature de cet acte. Ce résultat une fois obtenu, le roi de Siam devait perdre toute envie de venir à Compot. Phnéa-rat le savait bien quand il obtint de Norodom la promesse d’aller boire l’eau du serment ; mais peu lui importait au fond que la cérémonie eût lieu ou non : tout le monde savait que le roi du Cambodge y avait consenti, et cela suffisait.

Tandis que M. de Lagrée ne voyait dans la douceur et la modération de la cour de Siam qu’un motif de plus de se tenir sur ses gardes, Norodom, oublieux de sa dignité, avait peine à contenir sa joie. On affectait de le traiter avec une légèreté dédaigneuse, mais on allait lui rendre sa couronne ! Il ne pensait qu’à cela, ne parlait que de cela. Il donna des ordres pour que rien ne manquât à l’éclat des fêtes, et les préparatifs commencèrent. Les bonzes, consultés, se recueillirent ; ils déclarèrent que le 3 février était un jour propice et désigné par le ciel. Le gouverneur de la Cochinchine fut invité à se rendre à Houdon, ou du moins à y envoyer un représentant, qui serait reçu avec tous les honneurs usités, et occuperait une place au riioins égale à celle de l’envoyé siamois, quel qu’il fût. Tout était donc réglé d’avance. Le roi se montrait joyeux de tenir le premier rôle dans une cérémonie imposante. Il attendait impatiemment les Français. C’est devant eux surtout qu’il tenait à se montrer dans l’appareil antique de la puissance, depuis longtemps disparue, des vieux rois du Cambodge.

On entrait dans la période favorable aux cérémonies religieuses ; le chef d’état-major du gouverneur de la Cochinchine était arrivé à Houdon ; rien ne manquait plus pour le couronnement, si ce n’est la couronne. Des courriers parcouraient à toute bride la route de Compot, les bonzes redoublaient leurs prières, le roi, tout agité, prodiguait les ordres et les contre-ordres. On attendit autant qu’on put attendre ; mais il fallut enfin se rendre à l’évidence. Siam avait simplement voulu placer Norodom dans une situation fausse vis-à-vis de nous et nous attirer nous-mêmes dans une ridicule impasse.