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Depuis plusieurs siècles, Siam avait, suivant son intérêt, agi pour ou contre le Cambodge, et fait sentir matériellement sa puissance. Quant à nous, on ne nous connaissait que d’hier, et nous n’avions jamais donné que des conseils. Quelque honorable qu’elle fût, cette politique avait l’inconvénient d’exciter la défiance de notre nouveau protégé, le roi Norodom, qui n’en pénétrait pas le sens. Selon les très simples théories politiques et sociales de ces peuples presque barbares, théories consacrées par une pratique constante, la force est le meilleur de tous les argumens. S’il était vrai que la redoutable puissance de l’illustre roi de Siam ne nous inspirât pas une secrète terreur, pourquoi tant parlementer, pourquoi ne pas lui signifier nos volontés sans détour, pourquoi ne pas exiger la restitution immédiate de la couronne ? Norodom en revenait toujours là. Nous faisions preuve de modération, et il nous accusait de timidité. Le temps d’ailleurs s’écoulait sans apporter les ratifications du traité conclu avec la France. Siam le combattait à Paris, et continuait à répandre avec persistance le bruit menteur de son succès. Que serait-il arrivé du malheureux monarque, si par impossible les négociateurs siamois l’avaient emporté ? Il était perdu sans ressources ; sa légèreté ne l’empêchait pas de sentir cela.

Cependant de véritables rebelles, mettant toutes ces circonstances à profit, s’étaient levés dans le sud-ouest ; ils massacrèrent le ministre de la guerre, qu’on avait envoyé contre eux. Cette insurrection eut l’avantage de procurer au roi un prétexte honorable pour rentrer dans sa capitale, ce qu’il fit le 17 mars dans la soirée, suivi de près par Phnéa-rat, battu, furieux, confus, non découragé néanmoins, car il commença par tout mettre en œuvre pour obtenir l’éloignement de nos soldats ; mais il perdit sa peine. Quant à Norodom, n’osant rien refuser à l’acariâtre général, dont l’humeur était devenue plus insupportable encore à la suite de son dernier échec, il s’efforça d’arracher à M. de Lagrée la déclaration écrite que cet officier avait toujours usé de contrainte dans ses rapports avec lui. Il est inutile de dire ce qu’il advint de cette démarche, où la fourberie, perdant son nom, devenait presque aimable à force de naïveté.

Notre situation se faisait excellente de presque désespérée qu’elle était quinze jours auparavant. Cependant la partie n’était pas définitivement gagnée tant que Phnéa-rat resterait à Houdon, libre de voir le roi à toute heure, et que son influence pourrait combattre la nôtre. Enfin arrivèrent fort à propos les ratifications du traité. Cette nouvelle charma le roi. Il brûlait d’envie, disait-il, de voir la signature et le sceau de l’empereur des Français. Phnéa-rat essaya bien de lui persuader que tout cela avait été fabriqué à Saigon ; mais le roi, séduit par la perspective d’une cérémonie nouvelle,