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et dépasse de beaucoup celle des lumières qui nous sont familières. C’est pour cela que, suivant une remarque de M. Helmholtz, on aperçoit quelquefois en regardant des photographies au soleil certaines nuances très légères de clartés et d’ombre dans des parties qui à la lumière diffuse semblent tout à fait unies.

Un phénomène plus brutal aidera encore à comprendre cette loi générale de la sensibilité. Tenez deux poids à peu près égaux dans les mains : plus ces poids seront faibles, plus facilement vous apprécierez des différences légères ; quand les bras fatigués enlèvent à grand’peine deux poids énormes et un peu inégaux, le sentiment de la différence des deux efforts devient très confus. Pour les poids légers, les différences appréciables sont à peu près proportionnelles à ces poids mêmes ; quand la tension musculaire devient très grande, les comparaisons deviennent de plus en plus difficiles. Dans tous ces phénomènes, chaque fois que l’esprit compare des impressions de même nature, il crée donc en quelque sorte une mesure, et son habileté, son aptitude à apprécier les nuances, les détails, les différences, se proportionnent à cette mesure même. Ce travail mental est absolument inconscient, il s’opère avec la rapidité et la sûreté d’un instinct. L’intelligence introduit spontanément l’ordre dans les sensations ; la sensibilité se rapetisse ou s’enfle comme à volonté, elle se tient toujours en harmonie avec les objets qui la sollicitent.

Nous sommes ainsi faits que l’idée de grandeur est pour nous inséparable de l’idée de mesure ; ce qui est indivis nous semble toujours trop petit. C’est là une deuxième loi psychologique de la sensation aussi importante que la loi de Fechner. On peut la démontrer par une foule d’exemples. De deux lignes de même longueur, l’une divisée en un certain nombre de parties égales, l’autre indivise, la seconde paraît la plus courte. Divisez un espace carré par des lignes horizontales, le carré semblera s’élever en hauteur ; si les lignes sont verticales, il s’écrasera, s’étendra en largeur. Un angle droit dans l’intérieur duquel on a tracé des lignes rayonnant à partir du sommet semble un peu obtus à côté d’un angle droit indivis. Un appartement semble plus petit vide que rempli de meubles, d’objets d’art, d’étoffes, de lignes, qui découpent l’espace en tout sens. Tous les peintres savent qu’une tête s’enfle sur la toile par le modelé, et semble grandir sous les caresses du pinceau.

L’esprit obéit donc à une double loi : il cherche toujours une mesure, et, cette mesure trouvée, il y proportionne la sensibilité ; Le cerveau humain n’est pas un miroir inerte que des images viennent capricieusement traverser ; le miroir de la sensation est tantôt plus terne et tantôt plus brillant. Le cristallin de l’œil ne