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retrouve à tout moment chez les maîtres italiens le mariage du rouge, du vert et du violet, ou bien du rouge, du jaune et du bleu. Faut-il au contraire que l’expression soit adoucie, effacée, amollie, le peintre cherche les dégradations de tons, les nuances qui se rapprochent le plus dans le spectre solaire. Luini, dans ses fresques admirables, ne craint pas de juxtaposer des draperies d’un violet, d’un vert et d’un bleu pâles ; cette coloration s’harmonise très bien avec la mystique douceur de ce rival de Léonard. Il associe aussi hardiment des tons jaunes et rouges sans qu’il en résulte rien de choquant. Il n’y a pas de véritables dissonances dans le monde des couleurs ; mais il faut reconnaître que les mélanges de tons ont des effets variés, des expressions différentes. Le blanc, la pleine lumière, les teintes riches, les couleurs pures du prisme, conviennent à la joie, à la grandeur, à la beauté triomphales ; la douleur, la rêverie, la contemplation, cherchent les nuances complexes, sombres, la pénombre de la couleur, si l’on peut s’exprimer ainsi.

Le peintre doit éviter de donner à son tableau un ton prédominant, de peindre trop bleu, trop rouge, trop violet ; l’impression totale doit autant que possible se rapprocher du blanc ou du gris. Si le rouge prédomine dans l’ensemble, la rétine se fatiguera promptement de cette couleur, l’œil verra, pour ainsi dire, vert, et il en résultera que tout semblera faux et assombri. Pour donner de la lumière à un tableau, il y faut un balancement des couleurs prismatiques tel que l’œil, errant sur la toile, ne se fatigue pas plus d’une couleur que de l’autre. C’est merveille de voir l’art avec lequel Véronèse résout ce problème dans ses vastes compositions : au bout d’une longue contemplation, l’œil conserve encore la sensation de la couleur blanche ; il voit clair, il se trouve à l’aise. Il y a au contraire tel tableau qui produit sur l’organe visuel l’effet de ces verres de couleur à travers lesquels on regarde un paysage, et qui ôtent à la nature tout charme et toute vérité.

C’est pour la même raison qu’il faut mettre beaucoup de soin à placer les tableaux sur des fonds qui ne soient pas trop vivement colorés, surtout s’ils sont de petite dimension. Sur un fond violet, une petite toile jaunit ; sur un fond rouge, elle verdit. La couleur qui, à notre avis, convient le mieux n’est pas le blanc, car les tons si pauvres et si sombres de la peinture souffrent trop de ce rapprochement, c’est un gris très foncé ; il fait mieux ressortir les teintes, sans les altérer par le mélange des couleurs complémentaires qui naissent du contraste. Les fonds rouge-brun, si communs dans les musées, conviennent assez bien aux paysages ; ils rehaussent moins bien les portraits et les figures, qui gagneraient souvent à être aperçus sur un fond verdâtre. On peut se demander aussi d’où vient