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divin jette au milieu de l’obscurité de l’étable des lueurs rayonnantes qui font reluire çà et là les chairs polies, les blancs visages ; la lumière rejoint l’ombre par des teintes de passage rapides, mais si bien graduées qu’elles produisent un relief admirable. Avec les ternes couleurs de la palette, Corrège réussit à produire cet éblouissement particulier qui résulte de la juxtaposition des lumières et des ombres tranchées ; ce miracle de la couleur est l’expression matérielle du mystère divin qui enveloppe l’enfant et Marie, tout baignés de lumière, les naïfs bergers, les anges, emportés d’un mouvement d’une suprême audace. Murillo a obtenu quelquefois des effets du même genre. Dans la Naissance de la Vierge, le lit de l’accouchée reste caché au sein d’une ombre chaste, on voit fuir des corridors noirs traversés de quelques serviteurs discrets ; mais au centre éclate une lumière céleste qui vient d’en haut, comme par une crevasse, et qui illumine doucement les anges flottans, le berceau, les femmes qui remuent les langes. Une chevelure noire et luisante de jeunesse, une draperie rouge, un corsage paille, sont les seules couleurs qui fassent tache sur cette auréole diffuse et légère.

Quel parti merveilleux Rembrandt n’a-t-il pas tiré des lumières nocturnes, des torches, des flambeaux ! Qu’on songe seulement à la Ronde de nuit, le tableau le plus vivant peut-être qui soit au monde. Peu d’artistes osent lutter contre la lumière écrasante du soleil, cette lumière qui rapproche tous les tons, et ne laisse plus voir qu’à travers une sorte de poussière frémissante. Dans le Pouilleux, de Murillo, le rayon qui entre par la fenêtre jette sur tout une même lumière dorée, sur les haillons gris, sur les chairs brunes, sur un vase couleur de brique, même sur les cheveux noirs et drus du petit prisonnier ; il n’est pas jusqu’à la crevette rouge qui gît à côté de lui que l’artiste n’ait peinte d’un ton orangé. Ombres légères et transparentes, tons uniformément jaunis, voilà les deux caractères de la lumière très intense, mais ordinairement la peinture renonce à rendre la magie éclatante et les irisations splendides de la nature, elle ne peut nous donner qu’un plaisir plus sévère, moins matériel. Que de chefs-d’œuvre où il n’y a que du noir et du gris, la Leçon d’anatomie par exemple ! Comme la pensée luit et éclate partout ! comme l’artiste a rendu les saintes curiosités de la science, la terrible majesté de la mort, la puissance de la pensée qui triomphe de la sensation et des révoltes de l’instinct ! La gamme des couleurs du peintre est bien pauvre, l’intensité de sa lumière est d’une extrême faiblesse ; mais l’art profite de l’indifférence de l’œil à la vigueur et à l’éclat des tons, il trouve ses moyens d’expression dans les nuances et les contrastes.