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ignorante, plus familière avec les propriétés des corps, avec les lois de la dynamique, admirera sans doute des œuvres bien différentes de celles où se sont complu les générations passées. L’idéal humain varie d’âge en âge, et l’art restera toujours une traduction de l’idéal, comme la philosophie, comme la littérature, — traduction moins libre, moins compréhensive, asservie à des besoins plus immédiats et tout matériels, mais en revanche plus tangible, plus populaire, plus féconde en émotions et en plaisirs. L’art conservera toujours un caractère demi-symbolique, mais, sous quelque forme que le beau se déploie dans les créations humaines, il faudra toujours qu’il donne satisfaction aux lois éternelles de la sensation. Nous l’avons vu, le secret des contrastes et des proportions est caché dans une propriété physiologique, qu’il s’agisse des couleurs ou des formes, et l’art n’aura jamais d’autres moyens d’expression que les formes et les couleurs. Le beau naît toujours d’un rapport, la sensibilité humaine ne peut se nourrir d’une impression unique, fixe ; elle ne tire ses plaisirs que des comparaisons, des mesures. C’est pourquoi l’optique et la géométrie des formes cristallines ou vivantes peuvent être utiles à l’artiste. Elles ne lui donneront jamais l’inspiration, les idées : les sciences demeureront les servantes de l’art ; mais ces servantes ne doivent point être dédaignées. Si elles n’inventent pas, elles peuvent corriger ; elles font plus, elles donnent au génie créateur les moyens les plus propres à exprimer son rêve et à le traduire dans la langue des signes et des symboles matériels.


AUGUSTE LAUGEL.