Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle est, comme on dit aujourd’hui, un signe du temps, et elle nous a révélé, avec un état nouveau des esprits, une origine inattendue à ce paganisme poétique dont nous parlions tout à l’heure. Un retour plus ou moins réel aux poésies de Byron a pu couvrir et dissimuler quelque temps un retour évident aux dogmes du fatalisme et à la corruption grecque sous ses formes les moins équivoques. Gardons-nous de rejeter sur le maître la responsabilité des fautes qu’on nous semble commettre en son nom. Sans prendre à partie tous ces critiques, historiens ou auteurs de mémoires, pour discuter leurs systèmes, contentons-nous de faire ce qui ne nous semble pas avoir été essayé, une division des manières successives du poète, des évolutions diverses du penseur ; le discernement du vrai et du faux Byron en résultera naturellement.


I

« L’enfant est le père de l’homme, » dit Wordsworth ; en d’autres termes, tout mortel qui n’est pas seulement un corps fait pour digérer le pain de chaque jour et un esprit fait pour digérer les idées des autres, tout homme qui n’est pas une cire molle destinée à recevoir des empreintes réagit dans sa maturité contre les influences du dehors, et reproduit, quand il est enfin lui-même, certains traits primitifs de son âge tendre, certaines lignes à peine aperçues dans sa première physionomie d’enfant. Le Byron des premières poésies, qu’on ne lit pas, est le véritable père du Byron de Caïn et de Don Juan. Rapprochez-les, ils se ressemblent, ils se tiennent ; l’un est la continuation de l’autre. Ils forment ensemble une vie humaine à laquelle rien ne manque, si ce n’est un intervalle, une transition. Prenez un drame quelconque, à la condition qu’il soit bien fait, et, supprimant par la pensée le milieu, rapprochez le commencement de la fin, c’est l’image de la vie et de l’œuvre de celui qui est pour nous le vrai Byron. Certes nous ne pourrions nous résigner à fermer pour jamais les volumes où respirent encore Childe-Harold, le Giaour, le Sélim de la Fiancée d’Abydos, et tant de héros passionnés qui ont fait l’immense popularité du poète ; mais nous ne surprendrons personne en déclarant que ces poèmes fameux de l’époque intermédiaire trahissent, parmi les grandes beautés dont ils fourmillent, plus d’une trace de caducité. La vérité seule donne la vie aux créations de l’esprit humain, et il y a des parties dans Childe-Harold d’où elle s’est visiblement retirée. Cette armure d’orgueil, de misanthropie et de stoïcisme dont il s’est enveloppé, cette panoplie chevaleresque d’un nouveau genre, est aujourd’hui rouillée. Nous n’avons pas plus de prétention à la nouveauté quand