Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/917

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

franchement, il avait engagé la lutte. Si les différences qui séparent entre elles ces périodes jaillissent de la lecture même des écrits du poète, nous connaîtrons, j’en ai l’assurance, le vrai Byron ; nous saurons où commence chez lui le convenu, où il finit. Ce n’est pas tout ; en disant une bonne fois ce qu’il y au fond de Childe-Harold, nous aurons peut-être jeté quelque lumière sur la provenance, sur la valeur, sur l’originalité des types principaux créés par les poètes modernes.

Un jeune homme de dix-neuf ans s’annonce hardiment à l’Angleterre, qui ne le connaît pas, comme ayant fait des vers pour se distraire dans ses momens d’ennui ; à cette impertinente déclaration, il en ajoute une autre : ce volume très cavalier n’est pas un début, et le public n’aura plus rien de lui. Que disent ces vers ? Ils parlent d’amour, mais avec le langage du scepticisme. L’amour, cet homme de dix-neuf ans en a déjà vidé la coupe enchanteresse ; mais, prenez-y garde, il en a soif encore, toujours. Vous ne trouverez pas ici le stoïcisme de la satiété. Pour connaître cette abstinence affectée, ce dégoût tout de mode et de bon air, il faut attendre l’entrée en scène de Childe-Harold. Notre jeune homme ne croit pas à l’amour, mais il le cherche ; il vit à la poursuite du plaisir, et, à l’exception d’une seule, dont la possession lui est interdite, il méprise les femmes, ce poète qui n’est pas encore majeur. La religion est absente du recueil, mais par prudence ; on retrouvera plus tard un hymne déiste qui devait en faire partie, et ces vers où il doute de l’âme sont une des poésies les plus remarquable ? qui soient sorties alors des mains de l’auteur. Croit-il à la gloire ? Tristement précoce en matière de foi et d’amour, il attend l’épreuve de la renommée, qu’il n’a pu hâter suivant l’ardeur de son désir. Encore quelques années, et il se prononcera sur la gloire : il ne vit que de cette espérance. Cependant les ruines s’entassent déjà dans son âme ; c’est lui-même, je le crains, qu’il représente sous la figure du jeune Damœtas, dont il fait une peinture navrante.


« Il est enfant aux yeux de la loi, adolescent par le nombre des années, esclave des joies vicieuses par le cœur, adepte dans l’art du mensonge, démon dans celui de la tromperie, versé dans l’hypocrisie dès son jeune âge, mobile comme le vent, désordonné dans ses penchans. La femme est sa dupe, l’ami sans défiance son jouet ; vieux dans le monde, quoique à peine échappé de l’école, Damœtas a parcouru le labyrinthe du vice, il a touché la limite quand les autres commencent à peine leur course. Le conflit des passions agite toujours son âme, et lui commande d’épuiser la lie des plaisirs ; mais, rassasié de vice, il brise sa chaîne, et sa joie est devenue son poison. »