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bien conservé quelque restes, ainsi qu’ont pris soin de nous l’apprendre des amis trop oublieux ou trop zélés. Le dernier, plus modeste, mais s’exilant d’une société qu’il maudit sans la connaître, est moins un être vivant que le produit d’un rêve mélancolique prolongé durant toute une vie : l’auteur, enfoui dans son livre et aussi glacé que les feuillets où il était enseveli, y serait encore oublié sans l’autorité d’une plume savamment curieuse de toutes les maladies morales. Si la jeunesse croyait au suicide de Werther, à la retraite de René sous une hutte de sauvage, au stoïcisme d’Oberman assis sur le tronc de son arbre au fond d’un bois ignoré, elle se contenterait de sourire ; mais elle supporte avec impatience des récits de maladies qu’elle ne connaît pas, et qu’elle tient pour imaginaires, sinon pour menteuses. Elle s’indigne même des airs de spiritualisme qui couvrent les réelles faiblesses de tous ces héros et de leurs semblables, car la lignée en est nombreuse. Ce n’est pas tout : les maîtres qui les ont inventés se sont plu à déconcerter notre admiration. Ils ont jeté de côté leur personnage comme un vêtement usé. Quelques-uns vont même jusqu’à mettre le public dans la confidence de leurs fictions : tel nom qui revient souvent dans leurs vers n’est qu’un pseudonyme banal qui a servi à plusieurs personnes ; ici c’est la divinité terrestre qu’ils aimaient à deux genoux, là c’est la pauvre fille qui a servi d’amusement à leurs loisirs. Cette femme qui, dans les momens les plus précieux de la félicité présente, interroge les abîmes de l’avenir, elle ne croyait ni à Dieu ni à l’âme immortelle. Ce crucifix, ces derniers soupirs recueillis par un amant, sont une invention pour encadrer une scène à laquelle il n’assistait même pas. Que voulez-vous qu’elle pense de ces charlatanismes poétiques, cette jeunesse à bon droit défiante ? Elle se détourne de cette comédie pour suivre ceux qui lui promettent la pure et simple réalité. Elle fuit la mélancolie hypocrite pour se réfugier dans l’orgueil du libertinage au grand jour. Avec l’auteur de la Confession d’un enfant du siècle, elle voit je ne sais quelle grandeur dans le désordre franc et hardi. Ce qui restait de pur et d’élevé dans ces conceptions brillantes, mais à demi menteuses, elle le foule aux pieds. Amour, gloire, vérité, vertu, si vous sombrez dans le naufrage des inventions des poètes, que reste-t-il à l’âme humaine ?

Non-seulement ces trop célèbres malades se sont disputé la curiosité de notre siècle, mais c’est à qui d’entre eux aura le droit d’antériorité sur les autres et pourra se dire original. Tour à tour ils ont posé devant un public trop crédule, et la pose du sombre Childe-Harold n’est pas celle qui a trouvé le moins de faveur. Presque tous les sentimens du mélancolique pèlerin ont leur petite