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de Don Juan. Cette portion de l’ouvrage indique à peine ce que le poète a voulu ; il n’a pu réaliser sa pensée même en partie. Ce qu’il a voulu est exprimé en plusieurs endroits, et nous n’inventons nullement, nous recueillons au passage les intentions de l’auteur. C’est lui-même, comme plus haut, qui dirige notre analyse. Il dit à la strophe cent unième dit quatorzième-chant :


« Cela est étrange, mais cela est vrai : étrange, la vérité l’est toujours, et plus que la fiction. Si elle pouvait être dite, combien les romans gagneraient au changement, et de quel œil différent les hommes regarderaient le monde ! Combien souvent le vice et la vertu changeraient de place ! Le nouveau monde aperçu ne serait rien au prix de l’ancien, si quelque Christophe Colomb, des mers morales montrait aux hommes les antipodes de leurs âmes. »


Ailleurs il annonce qu’il va montrer les choses comme elles sont, non comme elles devraient être ; si l’on veut corriger la réalité, il est temps de la faire connaître ; si l’on veut une moisson meilleure, il faut creuser plus profondément son sillon[1]. Sa poésie ne vivra donc plus de fictions ; elle amasse un répertoire de faits. La muse ne chantera plus ses caprices ; les hommes, leur genre de vie, leurs actions, voilà le sujet de ses chants. C’est une plainte unanime que personne n’a réussi à décrire le monde avec la fidélité d’un peintre : eh bien ! c’est ce qu’il a entrepris, et cette fois du moins la satire ne ressemblera pas à ces petits scandales qu’avec un peu d’argent l’on arrache à un portier[2]. Un amour, une guerre, une tempête, ajoutez-y un assaisonnement léger de méditation, une vue à vol d’oiseau sur le désert de la société, voilà son poème jusqu’ici ; mais le voici entré dans une région où le niveau a passé sur toutes choses, où tous les cœurs et toutes les âmes se ressemblent. Plus de passion, plus de terreur, et le poète doit changer de procédés.

C’est donc une sorte de poème nouveau qui commence, et cet esprit mobile, qui se renouvelle tous les six ou sept ans, inaugure une nouvelle carrière. Les circonstances, dont Byron subit toujours l’empire, ont aussi changé ; les frémissemens des peuples ont abouti à la persécution des patriotes de l’Italie, au congrès de Vérone et bientôt à la guerre d’Espagne ; les espérances de l’Europe sont ajournées ; la mort de Napoléon Ier a déconcerté cette opposition populaire et confuse que Paul-Louis Courier appelait fort plaisamment le libéralisme à deux anses. Comme s’il recevait la leçon des événemens, l’esprit de Byron semble s’ouvrir à des

  1. Ch. XII, st. 40.
  2. Ch. XIV, st. 13 et 19.