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russe du Danube, le divan avait repris ses allures arrogantes. Qu’étaient-ce que ces raïas révoltés pour oser traiter directement avec le grand-seigneur ? Ils furent renvoyés à Kurchid-Pacha, qui deux années auparavant leur avait fait tant de mal et qui, chargé d’en finir cette fois avec l’insurrection de Serbie, avait été précisément pour cela promu à la dignité la plus haute. En passant par la ville de Nisch pour se rendre à Constantinople, les députés de Kara-George y avaient vu Kurchid, qui les avait accueillis avec bienveillance. Quand ils le revirent, ses dispositions étaient bien changées : il venait d’être nommé grand-vizir et avait reçu pour le règlement des affaires de Serbie des instructions qu’il est facile de deviner. Kurchid refusa de répondre aux questions des Serbes ; il leur fut dit seulement qu’une conférence aurait lieu à Nisch dans le courant du mois de janvier, et qu’ils connaîtraient alors la décision du sultan.

Tout cela se passait un peu avant la Noël de 1812 ; quelques semaines après, au mois de janvier 1813, les députés serbes retournaient à Nisch, où le commissaire de la Porte, Tschélébl-Effendi, leur signifiait l’interprétation du traité de Bucharest. La Turquie ne réclamait pas seulement toutes les forteresses, elle exigeait la remise de toutes les armes, de toutes les munitions de guerre. Les Turcs chassés par l’insurrection devaient être réintégrés dans leurs domaines, occuper de nouveau les villes et les palankes. Tel était, selon le commissaire tmx, le sens exact du traité ; voilà ce qu’avaient voulu les deux empereurs. « Kara-George, disait-il, a confié aux Russes le soin de stipuler pour les Serbes ; il tiendra sa parole, et, s’il y a des mécontens, libre à eux de partir. » Accepter de telles conditions, c’était se remettre la tête basse sous le joug d’autrefois si glorieusement brisé. Les députés se retirèrent, et aussitôt des troupes turques en grand nombre prirent position sur la frontière de Serbie. Ces troupes étaient dirigées en même temps contre un certain Molla, qui se disait pacha de Widdin, et qui, établi dans cette ville, prétendait se soustraire à l’autorité du sultan. Molla, se voyant menacé, proposa aux Serbes de marcher avec eux, comme fera plus tard l’odieux Ali de Janina avec ses anciennes victimes, les Souliotes et les Albanais. Il voulait même leur livrer la forteresse de Widdin. Soit que la Russie, comme on l’affirme, eût recommandé à Kara-George de redoubler de prudence, de se tenir immobile, de ne fournir aux Turcs aucun prétexte de violer la paix, soit que le bon sens naturel du prince des Serbes lui eût donné ce conseil, la Serbie se garda bien d’accepter les offres de l’aventurier. Une nouvelle conférence fut demandée à Tschélébi-Effendi. KaraGeorge consentit à l’occupation des forteresses par les Turcs, mais il soutint énergiquement que le traité ne pouvait exiger ni le désar-