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laisser au président du concile le temps de s’expliquer, il donna cours aux plus amères récriminations. « Je saurai bien, dit-il en terminant, je saurai bien me passer de vos évêques. Diites-leur que je ne veux plus entendre parler d’eux. Ce sont des ignorans, des entêtés, qui ne se comprennent pas eux-mêmes. A part Duvoisin, Barral, Mannay, qui sont pour moi, où sont leurs théologiens ? Oui, moi soldat, enfant des camps et des bivouacs, j’en sais autant qu’eux et plus qu’eux… Et vous, n’ayez-vous pas changé mille fois d’opinion ? Il n’y a pas six mois que vous pensiez comme nous. Avez-vous donc oublié la lettre que vous avez écrite à Savone ? Mais quel fond peut-on jamais faire sur vous[1] ? » Le lendemain, c’était l’archevêque nommé de Malines qui arrivait à son tour à Trianon afin de parler à l’empereur de l’événement qui faisait le sujet de toutes les conversations, quoique, bien entendu, il n’en fût pas dit un mot dans les feuilles publiques. Laissons à M. Pradt le soin de raconter lui-même cette scène, dans laquelle il ne laisse pas de jouer aussi son rôle.

« Je n’avais pas été partisan, dit M. de Pradt, d’une convocation impromptu du concile ; je l’étais encore moins d’une dissolution ex abrupto. Les précipitations et les violences ne m’ont jamais paru fort utiles en affaires, et surtout dans les affaires d’église, les plus difficiles de toutes les affaires. Souvent j’en avais fait des représentations au ministre de la police d’alors, le duc de Rovigo. Il était avec moi à Trianon. Dès que Napoléon nous aperçut, il vint à grands pas. « Ah ! que vous les connaissez bien ! dit-il. Je marchais sur un abîme sans m’en apercevoir. La plus grande faute que j’aie faite, c’est le concordat (je le savais depuis longtemps) ; ils m’ont gâté mes Italiens. Ne pas vouloir des propositions de Bossuet !… » Et mille autres choses saccadées qu’il proférait de moment en moment en se promenant avec activité. Il était placé entre le duc de Rovigo et moi. Nous suivions avec peine ses pas pressés, par l’agitation de son esprit ; enfin, lorsqu’il eut assez répété ses Italiens, son Bossuet, son abîme, son concordat, prenant mes avantages sur lui, je lui dis que c’était lui-même qui était l’auteur de tout cela, et, parcourant la manière dont le clergés avait été dirigé depuis douze ans, je lui demandai s’il avait pu se flatter d’un autre résultat en l’abandonnant à l’exemple de l’opposition journalière de M. le cardinal Fesch, à la débilité séculaire de M. le cardinal de Belloy, au dévergondage du cardinal Maury, en l’aigrissant par sa conduite envers le pape, en le laissant s’effaroucher tout à loisir par le silence qu’il avait, gardé et en le faisant présider par un homme inepte. Je conclus ma mercuriale en prononçant très

  1. Vie du cardinal Fesch, par l’abbé Lyonnet, présentement archevêque d’Albi, t. II, p. 341.