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Andréossi raconte que l’Angleterre semait des causes de mésintelligence entre la Turquie et la Perse, afin d’occuper les Turcs en Orient, et qu’il entretenait, lui, une correspondance avec MirzaGhéfî, premier ministre de Perse, afin de déjouer ces intrigues. D’autre part, il résulte des documens turcs, il résulte surtout de l’opinion répandue alors à Constantinople, que la Turquie voulait constituer sur ses frontières du nord-ouest, c’est-à-dire en Bosnie, en Serbie, une force militaire assez imposante pour inquiéter le gouvernement autrichien. Ces détails, qui ont leur intérêt pour l’histoire générale, sont aussi d’une grande valeur au point de vue du sujet qui nous occupe. On comprend mieux par ces rapprochemens l’importance de la guerre qui se prépare, le danger qui menace les Serbes, et toutes les catastrophes qui vont suivre. Historien français de ce vaillant peuple de Serbie, nous avions bien raison tout à l’heure de déplorer les complications funestes qui font tourner contre les héros de ce récit tout ce qui profite à la France.

Les Serbes étaient donc seuls en face de toutes les forces de l’empire. À la première annonce des mouvemens de l’armée turque, Kara-George ordonna des prières publiques dans toutes les églises. Comment ne pas se rappeler ici le roi Lazare à la veille de la journée de Kossovo ? Partout les églises étaient pleines ; devant la foule ardente et recueillie, après que les moines eurent dit les prières qui invoquent le dieu des victoires, un pope lut à haute voix le manifeste adressé par le prince à tous les voïvodes. Kara-George y rappelait l’histoire des neuf dernières années, pour quelles raisons le pays s’était soulevé contre les Turcs, au prix de quels sacrifices on avait brisé ce joug odieux, chacun se battant, non pour soi, mais pour sa religion, pour son pays, pour ses enfans ; puis venait une explication assez singulière de la nouvelle crise, explication curieuse surtout par le soin que mettait Kara-George à ne pas confondre Mahmoud avec les janissaires. Les chrétiens, disait-il, avaient trouvé un protecteur ; un traité de paix signé par le tsar de Saint-Pétersbourg avait défendu aux Turcs de rentrer dans les villes et les palankes du pays serbe. Le tsar de Constantinople y avait consenti volontiers ; mais les anciens tyrans des villes et des palankes, les spahis, les janissaires, prétendaient y rentrer en vainqueurs, au mépris des volontés de leur maître. Pour cela, ils avaient résolu de couper la tête à tous les Serbes depuis l’âge de sept ans, d’emmener en captivité les femmes, les petits enfans, d’en faire des turcs, et de peupler tous les districts de la Serbie avec des hommes d’une autre race. — « Qu’avons-nous à craindre ? ajoutait Kara-George. Ne sont-ce pas les mêmes hommes que nous avons vaincus dès le premier jour, alors que nous ne pouvions leur opposer que notre résolution et notre courage ? Aujourd’hui nous avons 150 pièces