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ganisées par brigades, par divisions, par corps d’armée, ayant leurs états-majors et leurs postes désignés de façon à pouvoir au premier ordre se porter avec une incroyable rapidité « au cœur de l’ennemi qu’elles veulent abattre. »

Voilà qui est parler et voilà qui est rassurant ! Ces admirables soldats, si justement orgueilleux de l’instrument de guerre qu’ils ont entre les mains, ont une terrible manière de vous faire croire à la paix. Cela ne signifie pas sans doute, comme le disait hier encore devant le corps législatif le maréchal Niel, qu’on doive entrer en campagne demain matin, cela ne veut pas dire non plus qu’on ne puisse entrer en campagne dans quelques mois, après les élections. Cela prouve surtout qu’à travers les plus rassurantes déclarations pacifiques il y a toujours une situation prodigieusement tendue par la nature même des choses, par la force de tous ces événemens qui se sont accomplis, qu’on peut surveiller et dévouer un instant sans en détourner indéfiniment le cours. C’est justement cette situation que les confiantes paroles de M. de La Valette n’éclaircissent en aucune manière, et qui reste avec toutes ses obscurités à la veille des élections. Au fond, si on voulait parler net, on avouerait qu’on ne veut rien dire, que ce qu’on demande aux électeurs, c’est de se tenir tranquilles, de donner un vote de confiance, et M. Émile Ollivier avait quelque raison lorsqu’il disait l’autre jour quelque chose comme ceci : Vous voulez éviter les questions précises, vous voulez placer le suffrage universel entre des impossibilités. Vous demandez à Jacques Bonhomme s’il veut des révolutions, s’il aime l’empereur ; Jacques Bonhomme vous répondra sans doute qu’il aime l’empereur, qu’il ne veut pas de révolutions, et comment cela vous aidera-t-il à régler vos affaires avec la Prusse ? Les votes de confiance sont une force, il est vrai, et surtout un moyen commode de gouvernement. Le malheur est qu’ils n’empêchent pas les expéditions du Mexique et les erreurs de politique qui conduisent à des complications comme celles où nous sommes aujourd’hui.

La politique extérieure offre toujours sans doute des difficultés particulières, et comporte une certaine réserve dont les hommes d’état n’aiment guère à se départir. Le danger cependant serait de vivre, de s’aigrir ou de s’abêtir dans une ambiguïté perpétuelle, de mettre sans cesse en avant cette alternative de la paix ou de la guerre d’une façon en quelque sorte abstraite, au lieu d’aller droit aux questions d’où peut naître un conflit. Si la France a des griefs, si les événemens lui ont fait une position trop inégale, trop disproportionnée avec son passé, avec ses ambitions légitimes, si elle a des garanties nouvelles à réclamer, il faut oser dire ce qu’on a sur le cœur ; il faut choisir son terrain sans forfanterie, avec fermeté, avec modération. Ce que nous eussions préféré quant à nous, c’eût été une discussion ample et virile où l’on aurait tout dit, où opposition et gouvernement seraient venus exposer leurs