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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/1067

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ministre des cultes, se croit assuré d’avance de leur bon esprit, de leur patriotisme. Sur le second point, on n’en sait pas plus aujourd’hui qu’il y a quelques mois, rien n’est fixé, à ce qu’il semble, ce qui prouverait, ou que le saint-siège n’a fait jusqu’ici aucune communication aux gouvernemens, ou que la question est assez épineuse pour motiver des négociations dont la lenteur dépassera probablement l’importance. Ce n’est pas certainement que nous nous méprenions sur la gravité que peut avoir aujourd’hui un concile au point de vue moral, même au point de vue politique ; mais en définitive qu’irait-on faire au concile ? Dans l’état présent du monde, avec les idées qui pénètrent, qui entraînent de plus en plus la société moderne et dont les gouvernemens eux-mêmes sont quelquefois l’expression, quel rôle pourraient avoir des laïques ? Ils seraient embarrassans et embarrassés.

Que l’approche de cet événement du reste émeuve déjà le monde religieux, cela n’est point douteux. On s’en occupe à Rome et même à Paris, et peu s’en faut que les théoriciens de l’absolutisme clérical ne voient dans le prochain concile le grand réformateur du siècle, une assemblée féconde d’où vont émaner toute sorte de dogmes sur l’infaillibilité du pape, sur l’inaliénabilité du pouvoir temporel, sur l’assomption de la Vierge. C’est là un programme devant lequel les jésuites de Rome ne reculeraient pas, dit-on, qu’ils ont même présenté, mais qui effraie les congrégations romaines. Il est difficile de ne pas voir que là peut être l’écueil de cette assemblée de l’église dont la réunion inquiète autant qu’elle occupe, et provoque dès ce moment des conjectures très diverses. Les uns, beaucoup d’évêques français, paraît-il, craignent qu’on ne tombe dans l’excès du programme absolutiste et qu’on ne gâte tout ; les autres, et de ce nombre est, dit-on, l’archevêque anglais Manning, qui est revenu récemment de Rome, ne voient pas cette assemblée sans une certaine anxiété, mais pour un motif bien différent : ils se demandent si tous ces évêques, venus un peu de tous les coins de l’univers, ne pourraient point étonner le monde, et si, au lieu d’accepter l’infaillibilité du pape, ils ne se sentiront pas portés à définir, à limiter l’exercice du pouvoir pontifical, substituant une sorte de gouvernement constitutionnel à un gouvernement absolu. Qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? Que sortira-t-il réellement de ce concile ? Ce qui est bien clair, c’est que, si les jésuites de Rome triomphaient avec leur programme, ils auraient sans doute un succès sur lequel ils ne comptent pas ; ils feraient faire un rapide chemin aux idées de séparation de l’église et de l’état, même en France, où cette liberté n’est pas la moins difficile à conquérir.

Dans ce temps de politique nuageuse et de finances surmenées, c’est une chose qui relève et ragaillardit de voir une grande nation comme la nation anglaise sachant ce qu’elle fait et où elle va, gardant la liberté de son action et de ses ressources. On reproche souvent aux libéraux français, qui auraient à faire pénitence de bien d’autres faiblesses, on