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que l’on y coudoie à chaque pas des repris de justice, déversés sur cette terre perdue comme des animaux malfaisans. Rien n’est moins exact. Les déportations, commencées en 1788, ont été, il est vrai, le point de départ de la colonisation de l’Australie ; mais depuis longtemps tout vestige de cette origine sinistre a disparu. La Nouvelle-Galles du sud n’a subi le fléau de ces envois que jusqu’en 1840, époque où la population pure et saine de Sydney repoussa avec un impétueux élan un navire chargé de convicts ; dès 1803, elle avait commencé à déporter en Tasmanie les plus turbulens de ces hommes. La colonie de Tasmanie ne reçoit plus d’envois de convicts depuis 1850, et longtemps avant cette époque elle avait interné les condamnés dans une presqu’île suffisamment isolée ; enfin la colonie Victoria n’a jamais laissé aborder ces importations pestilentielles : le seul endroit où il y ait des criminels en Victoria, ce sont les prisons cellulaires de Pentridge. On a même opposé une digue à l’immigration chinoise en frappant d’une taxe les celestials qui arrivaient en masse pour se ruer sur les champs d’or, et en interdisant l’entrée du port aux femmes de cette race.

L’auteur du livre que nous avons sous les yeux a fait le tour du globe en compagnie du jeune duc de Penthièvre, fils du prince de Joinville ; il venait d’avoir vingt ans lorsqu’il fit voile pour l’Australie, et il n’est resté absent que deux ans. Ses impressions ont la fraîcheur et la vivacité de son âge, ses jugemens sont un peu empreints de cet enthousiasme que la vue d’un monde nouveau éveille facilement dans les cœurs jeunes et confians ; on sent bien que les nobles touristes ont vu toutes les portes s’ouvrir devant eux. Si, pour cette raison, les récits de M. de Beauvoir ne donnent peut-être pas toujours une idée très juste de la vie des colons australiens, telle qu’elle est en réalité, en revanche ils entraînent le lecteur par le charme des descriptions, par le souffle de vie et de liberté qui se dégage de ces récits. L’auteur nous promène dans les palais de Melbourne, dans les mines d’or, dont il nous fait connaître l’histoire et le mode d’exploitation, dans les immenses propriétés des squatters, qui ne comptent leurs troupeaux qu’une fois par an, et dans les huttes des cannibales, que la race blanche a partout refoulés vers l’intérieur des terres. Des détails numériques très circonstanciés nous permettent d’apprécier l’importance des affaires sur ces grands marchés du commerce international, et de nous faire une idée des ressources que le pays offre à des colons énergiques et intelligens.

La richesse de l’Australie n’est point uniquement dans l’or que renferme le sol ; les immenses prairies de ce pays nourrissent d’innombrables troupeaux. M. de Beauvoir raconte avec des détails saisissans les visites qu’il a faites aux « stations » de bœufs et de moutons. A côté des propriétaires, qui ne paient aucune taxe, il y a en Australie les squatters, qui sont les fermiers de l’état. Dans la Nouvelle-Galles du sud, ils paient une contribution annuelle fixée par une commission d’experts