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I.

Depuis la soumission de la Kabylie par le maréchal Randon en 1857, la conquête du sol algérien est terminée, le Tell entier obéit à nos lois. Nous possédons aussi dans les oasis du Sahara quelques postes avancés qui nous servent, comme les grand’ gardes d’un camp, à protéger ce précieux territoire. C’est par conséquent hors de la ligne de ces postes, c’est-à-dire dans le désert, qu’ont dû se réfugier les quelques tribus insoumises qui refusent encore de reconnaître notre domination. La plus importante d’entre elles, celle des Oulad-sidi-Cheik, habite le désert depuis plusieurs siècles; elle prétend descendre de Si-bou-Becker, beau-frère du prophète. Si-Cheik, le fondateur de sa puissance, fut le premier d’une série de marabouts vénérés dans tout le Sahara. L’un des plus connus, Si-Mohamed-ben-Hamza, est mort à Alger en 1861, après avoir loyalement servi la France pendant dix ans; mais au moment de l’insurrection générale de 1864 on retrouva de nouveau cette tribu à la tête de nos ennemis. Elle obéissait alors à Si-Hamed-ben-Hamza[1], fils et héritier de Si-Mohamed. Ce jeune homme, âgé seulement de vingt ans, agissait de concert avec son oncle Si-Lala, un véritable homme de guerre, que sa hardiesse, son habileté, la connaissance approfondie qu’il avait du désert, rendaient pour nous fort redoutable.

Autour de la tribu des Oulad-sidi-Cheik sont venues se grouper toutes celles que le fanatisme religieux a soulevées contre nous. Poussant devant elles quelques maigres troupeaux, elles errent sans cesse dans des plaines stériles. Le manque de vivres et de munitions, la rareté de l’eau, la surveillance attentive de nos colonnes, semblent devoir rendre leur vie bien misérable; leur temps se passe à courir de la Tunisie au Maroc à la recherche des pâturages les moins brûlés et des sources les moins taries. Cependant ils aiment cette ingrate patrie qui ne fait rien pour eux. Le Sahara leur appartient; ils sont libres, et ils préfèrent cette liberté à la civilisation que la France leur apporte.

Si les Oulad-sidi-Cheik ont de la peine à vivre dans le désert, nos troupes en ont bien davantage à les y poursuivre. Ils connais- sent des puits dont nous ne soupçonnons pas l’emplacement. La ration quotidienne de l’un de nos soldats suffirait à nourrir chacun d’eux pendant huit jours. Leurs jumens, maigres et d’une sobriété

  1. Si-Hamed est mort il y a quelques mois, et a été remplacé par son frère Si-Kadour, fils d’une négresse.