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jugement j’ai écrit, sur la marge du livre, ces mots : c’est une iniquité ! Oui, monsieur, c’est une iniquité de juger ainsi l’Évangile et le Christ. On ne peut condamner sans l’entendre ni le dernier des hommes, ni le dernier des livres. Or ici c’est de l’Évangile et de Jésus-Christ qu’il s’agit. Et vous jugez et vous condamnez sans rien entendre et sans rien regarder. Eh bien ! c’est par une suite de pareilles injustices que vous montrez comment le christianisme est imparfait et doit passer.

Vous dites sur le christianisme et l’église tout ce que vous voulez, arbitrairement, résolument. Vous avancez toujours, et vous parlez, et vous frappez, foulant aux pieds les textes, les faits, les évidences, pourvu que vos assertions rentrent dans la formule systématique à laquelle votre esprit s’est livré, méthode d’erreur qui vous domine, qui vous fascine, et qui vous ôte la liberté d’esprit.

Vous attribuez au christianisme les erreurs qu’il condamne. Vous donnez des dogmes chrétiens des interprétations insupportables, et puis vous dites : Voilà des dogmes qui ne peuvent subsister. Pour vous, le grand et admirable dogme de la grâce, mot dont vous ignorez évidemment le sens, signifie : « le gouvernement personnel, » comme est celui d’un homme qui procède par faveur et non pas par justice. Parlant de la morale de l’Évangile et du mot vide de sens de morale moderne, vous citez je ne sais quels auteurs qui, opposant les deux morales, ont dit «que la grâce est le principe de l’une, tandis que la justice est le principe de l’autre, que la morale chrétienne ne connaît que la justification par la grâce, et la morale moderne la justification par les œuvres. » Vous ajoutez : « Ils ont raison à la lettre, puisque telle est la doctrine de l’église. » Mais vous n’ignorez pourtant pas que la doctrine de la justification sans les œuvres est une invention de Luther, combattue par l’église entière, condamnée au concile de Trente, et que les protestans ne soutiennent même plus aujourd’hui.

Le christianisme, dites-vous, enseigne la nature maudite de la matière, il enseigne que la nature est radicalement mauvaise. Vous savez pourtant bien qu’il n’y a là qu’une grossière hérésie des premiers temps, condamnée par l’église, et qu’on appelle le manichéisme.

Par la formule d’erreur qui permet de blâmer en louant, vous faites au christianisme et à toute religion des éloges ou reproches comme celui que voici : « La religion a toujours élevé les âmes, épuré les sentimens, réglé les volontés. Elle a même souvent inspiré les intelligences, surtout quand elle était, comme le christianisme, une grande et profonde doctrine. Elle ne les a jamais émancipées ! Son principe d’éducation est l’autorité, son moyen l’obéis-