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siamois et le laotien. Cette ressemblance des deux idiomes s’est confirmée à chaque station de notre voyage; elle ne s’altère sensiblement que sur les confins de la Birmanie. Jusque-là, elle est trop générale et trop frappante pour qu’il soit permis d’y voir un effet de la conquête. Vis-à-vis Stung-Treng cependant, sur l’autre rive du fleuve, il existe encore un gros village de Cambodgiens; ceux-ci nous accueillirent presque comme des compatriotes lorsque nous allâmes chasser chez eux. L’immense forêt qui resserre leurs cases chétives entre ses arbres centenaires et le fleuve tumultueux est remplie d’animaux sauvages à la poursuite desquels nous mîmes au début une ardeur qui s’éteignit assez vite. Dans une de ces chasses, où plusieurs compagnies de paons avaient été décimées, je fus surpris par l’orage avec un de mes compagnons, et je ne tardai pas à m’apercevoir que nous étions égarés. Nous n’avions pas de boussole, aucun point de repère ne se présentait à nos yeux, les arbres ressemblaient aux arbres, et nous pûmes soupçonner, pendant trois heures que dura notre marche à l’aventure, ce que devaient être les émotions d’un voyageur définitivement perdu dans ces solitudes pleines d’ombres et de bruits, cent fois plus effrayantes que les déserts de sable. Rejoints vers le soir par des Cambodgiens inquiets de ne pas nous voir reparaître, nous avons trouvé, guidés par eux, des murs en briques, derniers vestiges d’une ville importante, et visité deux monumens encore debout. Le mieux conservé est un édifice à base rectangulaire qui se termine par une sorte de tour ; le soubassement est décoré d’une guirlande d’oiseaux entrelacés qui entoure le monument à environ 2 pieds de terre. Au-dessus de la porte principale, on voit, encastré dans le mur, un fronton en grès sculpté soutenu par deux colonnettes en briques de forme élégante. Ces ruines, bien inférieures à celles qui existent au Cambodge, peuvent être considérées cependant comme la signature à demi effacée des vieux maîtres khmers qui ont possédé ce sol, et dont les habitans n’ont pas gardé le souvenir. Siam s’est assimilé d’une façon complète ces hommes, qui parlent sa langue. Elle nomme leurs gouverneurs et leur envoie des collecteurs d’impôts; sa monnaie d’argent est la seule en usage. Pour les transactions de peu de valeur, une monnaie particulière à Stung-Treng consiste en lingots de fer amincis à l’extrémité et longs à peu près d’un décimètre. Ces lingots sont fabriqués par les sauvages Cuys, qui habitent au nord de la province de Compong-soaï, et sont tributaires de Norodom. La voie des échanges en nature était pour nous la plus facile à suivre au milieu de cette population demi-sauvage; des bouteilles vides et une coudée de cotonnade rouge nous attiraient les bonnes grâces des ménagères, et notre table se couvrait des productions du pays, ci-