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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/206

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à son sort, quelque pénible qu’il fût, elle ne s’inquiétait guère du lendemain, de quelque incertitude qu’il parût environné. Voilà cependant qu’elle a été inopinément associée à toutes les vicissitudes que subit une cité naissante et ambitieuse de voir rapidement s’élever sa fortune. Dès son premier essor, entre ses murailles à peine sorties de terre, sous les abris provisoires qui tenaient çà et là lieu de maisons, la ville de Saint-Nazaire modifia brusquement la destinée de tous les individus qui de près ou de loin dépendaient de la grande navigation. Que ce soit pour leur futur avantage, point de doute; mais les chances à courir avaient de quoi les intimider. Le changement pour eux était complet. Il leur fallut dès lors vivre d’une vie nouvelle, au milieu d’une succession de phénomènes le plus souvent inexplicables à leurs yeux. Épanouissement rapide et retours imprévus, activité prodigieuse et engourdissement subit, trop faciles illusions et trop prompt découragement, vifs élans de la population et lenteur fâcheuse dans la solution des questions locales, ces incidens qui marquent les premiers pas de Saint-Nazaire ont eu leur contre-coup jusque dans les moindres hameaux de la côte. Tandis que dans la ville on était soutenu par la confiance qu’inspire une situation des plus favorables, on ne pouvait guère voir parmi les familles isolées que la difficulté du jour présent. C’est donc au milieu de péripéties nombreuses et d’inquiétudes soudaines qu’il faut suivre l’influence du mouvement contemporain sur le groupe maritime du bas de la Loire. Si complexes qu’en soient l’origine et le caractère, les phénomènes que nous avons à étudier ici sont d’ailleurs assez faciles à saisir. Ils se renferment en effet dans le court espace d’une dizaine d’années, et se rapportent en outre à deux ordres de faits caractéristiques, la création du port de Saint-Nazaire et la formation de la cité.


I.

Il n’y a guère plus de dix ans que Saint-Nazaire, simple station de pilotes et de pêcheurs, est devenu un grand port commercial. Cette transformation complète a été la conséquence de la construction d’un bassin à flot, comme aussi du prolongement du chemin de fer d’Orléans jusqu’à l’embouchure de la Loire. Le bassin avait à peine été ouvert depuis quelques mois, lorsque, vers le milieu de l’année 1857 (10 août), commença l’exploitation de la ligne ferrée. Les deux entreprises se liaient intimement l’une à l’autre. Si le bassin était indispensable pour recevoir les navires du commerce, le chemin de fer ne l’était pas moins pour assurer des communications rapides avec l’intérieur de la France. Des deux côtés, on devait tout au travail. On peut dire que le port a été créé de main