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de Dijon, M. Tissot, connu déjà par d’importans travaux sur la psychologie, a publié un livre dans lequel il emploie l’érudition la plus étendue et la plus variée à combattre notre législation relative au mariage. Il demande que le divorce remplace dans nos lois la séparation de corps, palliatif insuffisant, et dont il fait ressortir tous les inconvéniens. Pour attaquer l’indissolubilité du mariage, l’auteur se place volontiers sur le terrain de la tradition, du droit naturel et de l’équité. Après avoir successivement exposé les principes qui, dans les sociétés anciennes, à Jérusalem, à Athènes, à Rome, réglèrent la puissance du lien conjugal, M. Tissot exprime cette opinion, que les doctrines de l’Évangile semblent autoriser, dans certains cas, la séparation entre les époux. Saint Paul, saint Augustin, un grand nombre de théologiens des premiers siècles, des conciles même, interprétèrent en ce sens les paroles mises par les évangélistes dans la bouche du Christ. Plus tard, la cour de Rome s’efforça de substituer en cette matière ses dogmes aux institutions civiles. Elle représenta le mariage comme un acte purement religieux, comme un sacrement imprimant à l’union entre les époux un caractère d’indélébilité que la mort seule pouvait effacer. Propagée par le clergé, cette doctrine prévalut dans les consciences, et s’introduisit d’abord dans les mœurs, puis dans la législation. Des souverains plièrent. L’union entre époux fut désormais indissoluble.

M. Tissot se montre donc peu disposé à croire qu’à l’origine les lois purement religieuses qui imposèrent l’indissolubilité du mariage aient eu en vue des exigences politiques ou des nécessités sociales : son opinion paraît fondée, du moins pour la France. Ce ne serait pas une raison toutefois de ne voir dans le mariage qu’une union entre deux personnes demeurées maîtresses de reprendre plus tard et d’un consentement mutuel chacune son entière liberté d’action. Outre les dangers que ferait courir à la morale sociale la trop grande facilité accordée aux conjoints de se séparer pour convoler à de nouvelles noces, il convient de tenir compte des intérêts matériels de toute nature engagés dans la question, et l’on ne saurait légitimement dénier à la société un droit de surveillance sur les actes accomplis dans son sein et par ses membres. Le mariage n’est pas seulement une affaire de sentiment et d’affection, un simple contrat de bonheur mutuel passé entre deux personnes; il engage aussi de graves intérêts qui concernent non-seulement les époux eux-mêmes et les enfans à naître, mais encore la politique sociale et l’équilibre intérieur des états. M. Tissot rappelle des calculs statistiques qui ont établi que les cas de séparation de corps sont incomparablement plus nombreux dans les classes aisées que dans les classes pauvres. Que l’on songe aux embarras sans nombre qui entraveraient le libre maniement de la fortune publique, si des cas fréquens de divorce et de double mariage, trop facilement autorisés, venaient chaque année soustraire à la circulation une certaine partie des fortunes privées, immobilisées pendant un temps plus ou moins long en faveur des enfans mineurs de parens divorcés.

L’état de mariage donne naissance d’ailleurs à une situation privilégiée qui provient non du droit naturel, mais de certaines prescriptions pure-