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politique d’oscillation capricieuse et de bascule imprévoyante, si on se porte violemment tantôt d’un côté et tantôt de l’autre, si on est tour à tour trop grec et trop turc, trop grec pour se punir d’avoir été trop turc, et trop turc pour se punir d’avoir été trop grec, qui ne voit qu’ayant à marcher sur la corde tendue, cette façon de se passer de balancier rend la conduite à tenir plus difficile que jamais? C’est là ce que nous reprochons à la politique de la France en Orient dans ce qui touche particulièrement l’insurrection crétoise.

La France en moins de deux ans a eu trois politiques différentes sur l’insurrection crétoise. Quand éclate cette insurrection, la France la blâme, et M. de Moustier, que l’empereur venait de rappeler de Constantinople pour le faire ministre des affaires étrangères, ne manque pas, en passant par Athènes, de censurer sévèrement la faveur que la Crète insurgée trouve dans la population et dans le gouvernement grecs. Arrivé à Paris, M. de Moustier trouve, soit autour, soit au-dessus de lui, d’autres inspirations, et le langage de la France s’adoucit envers les Crétois et envers les Grecs. A mesure que s’apaise la mauvaise humeur contre l’insurrection crétoise, l’humeur se tourne contre la Turquie. Le consul de France, M. Jorel, que les Grecs accusaient à tort de leur être hostile, avait vu la vérité et l’avait transmise à notre gouvernement. Cette vérité était que, s’il y avait eu à et là des agens grecs pour exciter les passions patriotiques des Crétois, il y avait eu surtout des fonctionnaires turcs qui par leurs exactions et leurs cruautés avaient révolté tous les intérêts et soulevé toutes les haines. Mieux informé à la fois et mieux inspiré, M. de Moustier commençait à parler de la Turquie et de sa conduite en Crète avec un mécontentement qui s’accroissait de dépêches en dépêches : « il ne suffit pas, disait-il à M. Bourée, notre ministre à Constantinople, de reconquérir l’île de Candie, il faut donner des satisfactions suffisantes aux intérêts des populations crétoises[1]. » Le cabinet anglais entrait dans la même voie, et « chargeait lord Lyons d’insister pour que la Porte prît sans retard les mesures les plus propres à améliorer le sort des populations crétoises[2]. » Dans une autre dépêche du même jour, le langage de la France est encore plus énergique. « Après bientôt huit mois d’une lutte qui a fait couler tant de sang et qui n’est pas terminée, en présence d’une résistance qui témoigne certainement d’un mal profond

  1. Dépêche du 10 mai 1867.
  2. Dépêche de M. de Moustier à M. Bourée, 17 mai 1867. — Archives diplomatiques n° 11 et 12, 1867.