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Que s’est-il donc passé de 1867 à 1869 qui ait pu changer ainsi complètement la face des choses et les sentimens de la diplomatie européenne? Rien n’a changé dans les événemens et dans les actes de l’Orient chrétien, rien n’a changé, du moins au vu et su du public. Si même nous prenons les griefs exprimés par la Turquie, nous voyons que « la violation du droit des gens dont elle se plaint contre la Grèce dure depuis deux ans. » Nous ne disons point assurément que la durée de la faute puisse l’excuser, nous ne songeons point à entrer dans l’examen du procès engagé entre la Turquie et la Grèce; nous disons seulement à la diplomatie européenne et surtout à la diplomatie française : Tout cela, vous l’avez vu et vous l’avez su; tout cela, vous le voyiez et vous le saviez quand vous faisiez votre déclaration du 29 octobre 1867. — Je sais bien que vous vous êtes repentis de cette déclaration à peine faite, et que dès le 6 novembre 1867, c’est-à-dire huit jours après la déclaration, M. Bourée écrivait à M. de Moustier : « L’impression trop vive que les ministres du sultan ont reçue de la déclaration... tend aujourd’hui à se calmer. Ils paraissent comprendre que notre démarche était la conséquence naturelle des événemens antérieurs... La Porte sait d’ailleurs que, si elle ne peut raisonnablement exiger de nous un concours qu’elle a elle-même décliné pour l’aider à sortir des embarras que lui causent les affaires de Crète, nous n’avons pas du moins l’intention d’augmenter la somme des difficultés de la situation[1]. » Comme dans cette dépêche on voit se diminuer et s’évanouir la déclaration du 29 octobre 1867, à peine vieille de huit jours! Si le cabinet français s’est si vite repenti de sa mauvaise humeur contre la Turquie, quelles sont les causes de ce repentir soudain? Nous ne pouvons pas les discerner, nous ne pouvons pas surtout comprendre comment ces causes, ayant eu un effet si prompt huit jours après la déclaration, n’ont pas pu agir de la même manière huit jours avant. Plus vives à se montrer, elles auraient épargné au cabinet de Paris une inconséquence ou une contradiction trop visible.

Les personnes qui veulent tout savoir expliquent le changement qui a eu lieu dans les sentimens et les résolutions du gouvernement français par la découverte qu’il a faite des intrigues de la Russie. Il paraît que la Russie nous attrapait en Orient. Il y a des gens qui aiment mieux être attrapés par les autres et le dire que d’avouer qu’ils se sont trompés eux-mêmes. Les dupes d’autrui et les dupes de leurs propres calculs se ressemblent fort et se confondent si aisément que ce n’est pas la peine d’en faire beaucoup la distinc-

  1. Archives diplomatiques, n° 11 et 12, 1867, p. 1597.