Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sûrs de l’atteindre peu au-delà de ces puits. Il était environ quatre heures de l’après-midi. Il ne fallait plus compter sur l’infanterie, qui était en route depuis quatre heures du matin. On s’arrêta au point où elle dut passer la nuit, on lui laissa le peu d’eau qui restait, et les trois escadrons reçurent l’ordre de se tenir prêts à se remettre en route dans deux heures. A six heures en effet, aux derniers rayons du soleil couchant, nous partîmes au trot, joyeux et méditant ce programme, qu’on se passait de bouche en bouche : marche toute la nuit, au petit jour surprise du camp ennemi, immense razzia et capture du marabout, puis retour pour dîner aux puits abondans mentionnés par l’Arabe, où nous retrouverions le reste de la colonne légère. Le jour baissait, le disque jaune du soleil venait de disparaître à notre droite; la nuit, qui dans ces parages succède presque immédiatement au jour, arrivait rapidement. On n’entendait que le trot régulier des chevaux, rendu plus intense par le calme de la nuit, et parfois, dominant ce bruit, un refrain particulier aux chasseurs d’Afrique que les hommes chantaient en chœur. Nous étions alors véritablement gais, l’espérance était revenue, maîtrisant la fatigue, et les chevaux eux-mêmes semblaient partager notre entrain. Je jouissais plus que je ne saurais le dire de cette impression si nouvelle pour moi quand j’appris que le cheval de l’un des officiers de notre troupe venait de tomber mort. L’accident était sérieux. Je m’arrêtai un instant, vivement ému, ne sachant que résoudre entre les escadrons dont j’entendais déjà la cadence éloignée et mon camarade abandonné derrière moi, lorsque je le vis arriver au galop. Un chasseur l’avait contraint à prendre son cheval, disant qu’un officier pouvait être plus utile qu’un simple soldat, et que d’ailleurs il était sûr de se tirer d’affaire. Il passa en effet la nuit à l’endroit même où le cheval s’était abattu, et fut ramassé par le petit convoi de chameaux qui nous suivait.

Vers huit heures, on s’arrêta tout à coup; nous étions arrivés à l’Oued-Gharbi, dont il s’agissait maintenant de descendre les rives escarpées. Il fallut mettre pied à terre et conduire son cheval par la bride. La nuit était noire; je ne sais pas comment nous fîmes pour arriver au fond sans accident. Nous voici enfin dans le lit de la rivière; on se remet en selle, et nous marchons en file indienne au milieu des touffes nombreuses de tamaris, dont les rameaux viennent de temps en temps nous frôler en passant. Afin de ne pas nous trahir, défense est faite de crier et de fumer. Le sable assourdissait le bruit des pas, et c’est à peine si chaque cavalier entendait le grincement de la selle ou le son métallique du sabre frappant contre l’étrier de l’homme qui le précédait. Par un de ces incidens qui se produisent parfois dans les marches, surtout la nuit, une scission s’opéra brusquement dans la chaîne allongée que nous formions, et