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saillantes, aux larges épaules, aux allures félines, qui pourraient bien avoir dans quelque coin de leur portefeuille une carte d’agent du service de sûreté. Le poisson va toujours à la rivière, et le filou aux endroits où il peut travailler; il est donc naturel que les salles d’attente de la Banque soient très fréquentées par les voleurs. Il y a aussi une autre espèce de gens qui hantent la galerie, se mêlant aux groupes dès qu’un chef de service passe auprès d’eux, flânant, regardant de ci et de là d’un air de nonchalance, et qui attendent l’instant propice pour aller demander aux garçons si tels billets dont ils donnent l’indication ont été remboursés. Ceux-là sont les petits escompteurs, race véreuse, faisant faire des signatures d’endossement pour cinq sous par des écrivains publics, marchands de contre-marques à l’occasion, ne reculant devant aucun bas métier, tombant souvent en police correctionnelle et frisant parfois la cour d’assises; on les appelle les toupiniers. Lorsqu’un haut employé les aperçoit et les reconnaît, il les fait jeter à la porte sans plus de cérémonie.

Quand le dernier souscripteur de billet, le dernier voleur, le dernier agent de police, le dernier toupinier, ont quitté la galerie, on ferme les portes; cependant tout n’est pas fini, loin de là. Il faut régler les bordereaux, voir s’ils concordent entre eux, relever les erreurs, compter les billets de banque et peser l’or. Chaque escouade fait ce travail, qui est long et méticuleux, sous la direction de son brigadier. Lorsqu’on s’est mis d’accord, l’argent est porté à une caisse, les billets à une autre; tout est vérifié de nouveau et transmis à la caisse principale. Il faut ensuite distribuer à chaque homme les effets qu’il devra présenter le lendemain. C’est ainsi que souvent, lorsque les échéances ont été lourdes, la galerie est encore éclairée à deux, à trois heures du matin, et que les habits gris, ainsi que les garçons de recette s’appellent entre eux, sont occupés autour de leur petite lampe à faire des calculs et à pointer les chiffres. Chaque jour suffit à sa tâche; quand cette besogne a pris fin, les garçons ont mérité d’aller dormir. Tout n’est pas rose dans leur métier, car ils sont responsables de l’argent qu’ils ont à recevoir, et ils sont obligés d’opérer avec une telle rapidité que les erreurs sont fréquentes. Le fait est douloureux à avouer, mais on les vole beaucoup. Qui? Les fripons qui cherchent fortune dans les rues, les gamins qui se faufilent entre les jambes et excellent à fourrer leurs petites mains dans les poches? Non pas, ils sont volés par les personnes mêmes auxquelles ils ont affaire, et qui, peu scrupuleuses parfois, estimant que tout bien trouvé est un bien gagné, ne s’empressent pas de faire remarquer au garçon de recette qu’il oublie, tant il se hâte, tant il est talonné par l’heure,