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L’âge d’or va renaître avec ce nouveau produit de la famille libérale de Germanicus. Certes Claude est un sot, il n’en sera que plus bienveillant; il est faible, le peuple en profitera; il est gourmand, on fera bonne chère dans l’empire; il ne hait pas assez les plaisirs, tous ses sujets vivront en Hesse; il aime le cirque et l’amphithéâtre, il y convoquera sans cesse les Romains; il est vieux, donc il sera moins prompt à se laisser corrompre par le pouvoir et à se transformer en tyran; il est ridicule, on s’en amusera, et jamais on n’aura vu un règne aussi gai. La fable de Phèdre est renversée : les grenouilles qui demandent un roi obtiennent de Jupiter non pas une hydre après un soliveau, mais le soliveau après l’hydre, c’est-à-dire après Caligula.


III.

Si la royauté limitée et un prince qui s’efface sont un bien dans un état sagement constitué, on est curieux d’apprendre comment il conduit les hommes, le chef absolu qui n’a jamais su se conduire lui-même, et jusqu’où tombe l’empire quand l’empereur est incapable de gouverner. Le despotisme exige une tête forte et une main ferme : cette nécessité est dure pour le peuple qui a abdiqué, elle est pleine de périls pour l’usurpateur qu’enivre une puissance sans contrôle, elle est funeste aux états que l’orgueil d’un seul homme conduit souvent à l’abîme; mais c’est une nécessité. Lorsque la tête du despote est faible et sa main tremblante, la machine administrative, perfectionnée pendant plusieurs siècles, est toujours prête à fonctionner : il lui faut toutefois un moteur. — Quel sera ce moteur? La vie mécanique substituée à la vie politique a étendu sur tout le pays un réseau de rouages savans qui se transmettent le mouvement : un seul doigt imprime ce mouvement. Quel sera ce doigt?

Il est évident qu’avec un prince tel que Claude le moteur est déplacé. Alors trois combinaisons se présentent : ou bien le gouvernement d’un premier ministre, qui fait de son maître un sujet, l’intimide, l’entraîne; le persuade, le surveille et s’épuise à le reconquérir tous les jours, ainsi qu’une propriété précaire, ou bien le règne des favoris, des femmes légitimes et des maîtresses, ou enfin une camarilla de valets, domesticité toute-puissante qui tient le despote prisonnier, le caresse, le joue, le trompe et fait autour de lui aussi bonne garde qu’une garnison défendant sa forteresse. Dans les trois cas, ces agens du pouvoir sont irresponsables, principe insensé, fertile en périls pour le souverain, en afflictions pour le pays. Cette irresponsabilité s’aggrave d’autant plus que le niveau moral des agens s’abaisse davantage et que la lie de la société re-