Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

camp, deux ou trois cadavres de chameaux déjà décomposés par le soleil, voilà les seuls vestiges qu’ils avaient laissés de leur passage.

Nos chevaux étaient épuisés, nous n’avions plus de vivres. Pour la seconde fois, il nous fallait renoncer à l’espoir d’une rencontre. Les goums, qui ont toujours assez de vivres, et dont les jumens ne connaissent pas la fatigue, continuèrent la lutte que nous étions forcés d’abandonner. Avec quelle envie mêlée de dépit nous les vîmes partir! La soirée fut triste; l’eau qu’on avait puisée au fond des r’dirs presque vides de Mengoub était entrée en putréfaction sous l’influence de la chaleur. Un des chameliers qui avait apporté en cachette une outre d’eau un peu meilleure en vendit un litre au prix de 20 francs. On repartit le lendemain pour Mengoub; mais on ne put y arriver le même jour. Le surlendemain, on y fit la grande halte. Pendant notre absence, les puits étant vides, la colonne d’infanterie était partie; mais l’eau commençait à revenir, et nous fîmes, à l’ombre des tamaris que nous connaissions déjà, un agréable déjeuner.

Pour atteindre Benouth, où nous devions coucher, nous n’avions qu’à remonter l’Oued-Benouth pendant une vingtaine de kilomètres. Rien de joli comme le lit de cette rivière et la végétation que l’on y rencontre. Les lauriers-roses croissent en abondance sur les deux rives; les tamaris, les térébinthes, y atteignent de très grandes hauteurs, et se rejoignaient parfois au-dessus de nos têtes pour former de ravissans berceaux, des sortes de couloirs mystérieux où jamais le soleil ne pénètre. A droite et à gauche, de nombreux r’dirs, abrités sous ces frais ombrages, nous semblaient autant de trésors auxquels il eût été coupable de ne point puiser. Aussi, chaque fois qu’on en rencontrait un nouveau, les chasseurs, éblouis par cette abondance de biens, s’arrêtaient-ils malgré les instances des officiers pour boire eux-mêmes une fois de plus et pour faire boire leurs chevaux; ceux-ci, d’ordinaire si intelligens, comme tous les animaux, pour discerner ce qui peut leur nuire, mais dérangés sans doute dans l’équilibre de leurs instincts par une trop longue abstinence, se montrèrent plus déraisonnables encore que les hommes. Plusieurs d’entre eux furent punis de cette intempérance et moururent le soir au bivouac.

Le lieu où nous arrivâmes à la fin de la journée était digne de la jolie route qui nous y avait conduits. Nous venions de quitter le lit de la rivière afin d’en éviter les nombreux circuits. Après avoir un instant semblé vouloir changer sa direction primitive, l’Oued-Benouth la reprenait bientôt par une courbe gracieuse, et s’échappait ensuite à notre droite en serpentant au pied des collines. On pouvait aisément se figurer que l’eau coulait à pleins bords entre