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J’avais aussi en vue des faits bien plus simples et journaliers. Blainville lui-même, pour qui l’espèce n’était que l’individu se répétant dans l’espace et dans le temps, acceptait par cela même la possibilité de modifications morphologiques considérables, car chez tous les êtres organisés l’individu subit des métamorphoses plus ou moins étendues depuis le moment de sa première formation jusqu’à celui de sa mort. Avec tous les naturalistes, il a reconnu l’existence des variétés comprises comme je l’ai moi-même défini[1] ; il a admis la formation et la durée des races. Sur ces deux points, l’accord entre toutes les écoles, entre les botanistes et les zoologistes, est aussi complet que possible, et les définitions en font foi. Dans la formule que j’ai proposée, j’ai seulement cherché à préciser plus que mes devanciers la notion d’origine. « La race, disais-je, est l’ensemble des individus semblables appartenant à une même espèce, ayant reçu et transmettant par voie de génération les caractères d’une variété primitive. »

Ainsi l’espèce est le point de départ ; au milieu des individus qui composent l’espèce apparaît la variété ; quand les caractères de cette variété deviennent héréditaires, il se forme une race. Tels sont les rapports qui, pour tous les naturalistes, règnent entre ces trois termes, et qu’on doit constamment avoir présens à l’esprit dans l’étude des questions qui nous occupent. Il en résulte premièrement que la notion de ressemblance, très amoindrie dans l’espèce, reprend dans la race une importance absolue. De là il suit également qu’une espèce peut ne comprendre que des individus assez semblables pour qu’on ne distingue pas même chez eux de variétés, qu’elle peut présenter des variétés individuelles dont les descendans rentrent dans le type spécifique commun, mais qu’elle peut aussi comprendre un nombre indéfini de races. Toute exagération, toute réduction, toute modification suffisamment tranchée d’un ou de plusieurs caractères normaux, constituent en effet une variété, et toute variété peut donner naissance à une race. En outre chaque race sortie directement de l’espèce peut à son tour subir de nouvelles modifications se transmettant par la génération. Elle se transforme alors, et une série nouvelle prend naissance, distincte de la première par certains caractères et méritant au même titre le nom de race. Ainsi se forment les races secondaires, tertiaires, etc. On peut donc se figurer les espèces dont le premier type n’a pas varié comme un de ces végétaux dont la tige est toute d’une venue et ne présente aucune branche, les espèces à races plus ou

  1. La variété est « un individu ou un ensemble d’individus appartenant à la même génération sexuelle qui se distingue des autres représentans de la même espèce par un ou plusieurs caractères exceptionnels » (Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1860.)