Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amours d’une poule et d’un lapin, n’espérerait plus en voir naître « ou des poulets vêtus de poils ou des lapins couverts de plumes, » pas plus que je n’ai cru qu’il résulterait un être intermédiaire de celles d’un chien et d’une chatte que j’ai moi-même constatées. En revanche, si Frédéric Cuvier vivait encore, il ne dirait plus, en exagérant les doctrines de son illustre frère : « Sans artifice ou sans désordre dans les voies de la Providence, jamais l’existence des hybrides n’aurait été connue[1]. » Duvernoy n’écrirait plus : « L’animal a l’instinct de se rapprocher de son espèce et de s’éloigner des autres, comme il a celui de choisir ses alimens et d’éviter les poisons[2]. » Le fait est que de genre à genre les unions sont fort rarement productives. Entre espèces de même genre, quelque voisines qu’elles soient par l’ensemble des caractères morphologiques, la très grande majorité des mariages sont inféconds. Lorsque le croisement est possible, la fécondité est d’ordinaire amoindrie, et parfois dans une mesure notable. Tels sont les faits incontestés que présente tout d’abord l’hybridation, c’est-à-dire le croisement entre individus faisant partie d’espèces différentes, et cela chez les végétaux aussi bien que chez les animaux. Ils contrastent déjà d’une manière remarquable avec les phénomènes qui accompagnent les métissages, c’est-à-dire le croisement opéré entre individus de même espèce, mais de races différentes. Ici, quelque opposés que soient les caractères morphologiques, les unions sont faciles et toujours fécondes. Les expériences faites au Muséum par Isidore Geoffroy ne peuvent laisser de doute sur ce point quand il s’agit des animaux[3]. Les faits recueillis par une foule de botanistes, et en particulier par M. Naudin[4] et par Darwin lui-même, sont tout aussi concluans en ce qui touche aux végétaux.

Les premiers pas faits dans la voie du croisement établissent donc entre l’espèce et la race des différences qui grandissent et se précisent rapidement lorsqu’on examine non plus les parens, mais les fils. Quelque rapprochées que soient les deux espèces croisées, quelque régulièrement féconde que soit leur union, l’hybride qui en résulte peut rarement se reproduire. Tel est le mulet, fils de l’âne et de la jument. La fécondité est au moins presque toujours considérablement réduite ; elle diminue encore rapidement dans les

  1. Histoire naturelle des Mammifères ; sur un mulet de macaque.
  2. Dictionnaire universel d’Histoire naturelle, article Propagation.
  3. Les expériences d’Isidore Geoffroy ont porté sur les races les plus diverses des espèces chien, chèvre, porc, poule, et surtout sur les races ovines.
  4. Mémoire sur les caractères du genre Cucurbita (Annales des sciences naturelles, — Botanique, 4e série, t. VI). — Les observations de M. Naudin ont porté sur plus de 1,200 individus en une seule année.