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à exposer les résultats du croisement, à en apprécier les conséquences, indépendamment des études particulières consacrées à diverses espèces animales domestiques ou à des plantes cultivées, et dans lesquelles ces questions sont bien souvent examinées. Évidemment un travail de cette nature fait par un naturaliste qui regarde les races comme des espèces en voie de formation devait avoir pour but de montrer d’un côté que le croisement entre races n’est pas toujours possible, de l’autre que le croisement entre espèces peut donner naissance à des races hybrides. Telle est en effet la tendance générale de l’ouvrage ; mais telle est aussi la parfaite loyauté de l’auteur qu’il est souvent le premier à montrer ce qu’ont d’insuffisant les faits qui pourraient le plus être invoqués en faveur de ses doctrines générales, et que, pour le combattre, on n’a bien des fois qu’à lui emprunter des armes.

Quand il s’agit du croisement des espèces entre elles, Darwin ne cite et ne pouvait citer aucun exemple de race hybride fourni par l’histoire des espèces sauvages livrées à elles-mêmes. Il tire surtout ses argumens de quelques espèces animales soumises à la domestication, de végétaux transformés par la culture ou soumis aux pratiques de l’hybridation artificielle ; suivons-le donc sur ce terrain. Parmi les animaux domestiques, les chiens, les moutons, les bœufs, les porcs, sont issus, pense-t-il, de plusieurs espèces. Cette opinion a été déjà bien souvent soutenue, et la grande, l’unique raison invoquée est toujours la différence de caractères existant d’une race à l’autre. Darwin apporte peu de considérations nouvelles à l’appui de cette opinion ; il en fournit de bien sérieuses propres à la renverser. Son admirable travail sur les pigeons montre que cette espèce domestique compte au moins cent cinquante races bien assises ayant reçu des noms spéciaux, et pouvant se diviser en quatre groupes fondamentaux, comprenant onze divisions principales. Cependant, par l’examen approfondi d’une masse énorme de faits, par un ensemble de considérations et de déductions qui se contrôlent et se confirment mutuellement, il en est arrivé à montrer de la manière la plus irrécusable que toutes ces formes, aujourd’hui héréditaires, ont pour ancêtre commun une forme spécifique unique, notre biset, la columba livia des naturalistes. Sans disposer de matériaux aussi nombreux, mais par l’application de sa méthode, Darwin ramène de même toutes nos races gallines au gallus bankiva. Certainement, s’il eût fait de même pour les mammifères domestiques, auxquels il accorde une origine multiple, il aurait conclu tout autrement qu’il ne l’a fait. Je ne puis entrer ici dans une discussion détaillée, et je me borne à indiquer quelques faits.

Les principales raisons données par Darwin pour ramener au