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auraient dû avoir essentiellement les mêmes instincts, surtout celui de la domestication.

Les similitudes entre les pigeons et les chiens considérés au point de vue physiologique ne sont pas moins frappantes. Le temps de la gestation est le même pour toutes les races de même taille[1], toutes paraissent être susceptibles d’apprendre à aboyer, et semblent également exposées à perdre cette voix factice par l’isolement et quelques autres conditions encore mal connues[2]. Toutes enfin se croisent avec une facilité dont nos rues et nos chenils ne témoignent que trop ; personne n’a prétendu que ces unions faites au hasard et souvent en dépit de la surveillance la plus attentive aient jamais été improductives ou aient donné naissance à des individus inféconds. Évidemment, si la fécondité du croisement entre les races a quelque autorité quand il s’agit des pigeons, à plus forte raison doit-elle conduire à une même conséquence quand il s’agit des chiens, dont la variété supposerait un nombre d’espèces-souches bien plus considérable.

Si Darwin avait fait avec quelque détail l’examen comparatif que je me borne à esquisser, s’il y avait apporté son esprit de critique impartiale ordinaire, il serait certainement arrivé à une conclusion tout autre que celle qu’il a admise, car son livre ne renferme en réalité qu’une seule objection à laquelle ne réponde pas ce court parallèle entre les pigeons et les chiens. J’entends parler de la ressemblance que présentent en divers pays les chiens plus ou moins domestiques et d’autres animaux sauvages vivant à côté d’eux ou dans le voisinage. Darwin regarde ces derniers comme autant de souches, et il arrive ainsi à en reconnaître de six à huit, sans compter, ajoute-t-il, « peut-être une ou plusieurs espèces éteintes. » Il reconnaît d’ailleurs lui-même que, même en admettant le croisement de ces nombreuses espèces, on ne peut expliquer l’existence des formes extrêmes telles que celles des lévriers, des bouledogues, des épagneuls, des blenheim.

Ici Darwin oublie un fait important qu’ont aussi négligé ses devanciers, et dont il faut pourtant tenir compte. Au milieu des populations les plus civilisées, dans les campagnes les plus cultivées, dans les villes les plus populeuses, il existe des chiens errans dont la police ne peut entièrement nous débarrasser. On sait comment

  1. Isidore Geoffroy, Histoire naturelle des règnes organiques.
  2. Deux chiens de la rivière Mackensie, amenés en Angleterre, restèrent muets comme leurs ancêtres ; mais leur fils apprit à aboyer. Les descendans des chiens abandonnés dans l’île de Juan Fernandez avaient oublié l’aboiement au bout d’une trentaine de générations. Ils le reprirent peu à peu en compagnie de chiens restés domestiques. Les chiens amenés sur certains points de la côte d’Afrique perdent de même la faculté d’aboyer.