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blanchisseuse : aussi, toutes les fois que les noms de quelques-uns des martyrs républicains de Hollande se rencontrent sous la plume de Voltaire, un cri d’indignation échappe-t-il au grand polémiste, qui de tous les hommes est celui qui a le plus abhorré la populace. Certes c’est une dure condition, mais il est des situations où le patriotisme commande aux gens éclairés de penser comme leur tailleur et leur blanchisseuse. Il est vrai qu’il est moins pénible à un prince de se soumettre à cette condition qu’à un simple citoyen, et c’est pourquoi la monarchie aura toujours plus de faveur auprès des masses populaires que la république, qui est de sa nature oligarchique, et qui, quelque démocratique qu’elle soit à l’origine, deviendra toujours au bout d’un temps plus ou moins long le gouvernement de quelques-uns, de par la logique secrète des choses, qui mène les hommes ailleurs que là où ils voulaient aller.


II. — HOLBEIN.

Le musée de La Haye possède un mérite qui manque à tous les musées que j’ai visités jusqu’à présent; il ne fatigue pas. Il se compose d’un peu moins de trois cents numéros et peut se voir en quelques heures. Il contient juste le nombre de chefs-d’œuvre voulus pour que le spectateur puisse jouir de sa faculté d’admirer, sans qu’elle lui devienne une souffrance, une douzaine tout au plus : un Paul Potter, trois ou quatre Rembrandt, un Titien, un Holbein, deux Albert Dürer. Ce n’est pas, il est vrai, à cette douzaine de chefs-d’œuvre que se borne l’intérêt du musée de La Haye; mais la masse de ravissantes compositions qu’il renferme n’exige pas de contemplation soutenue, ni de dépense épuisante de fluide nerveux. Les Jean Steen, les van Ostade, les Terburg et les Gérard Dow peuvent être regardés sans plus de fièvre que ces spirituels dessins où Troost a représenté des scènes de la vie hollandaise et des épisodes du théâtre d’autrefois. Entre deux chefs-d’œuvre, on se sert de quelques-unes de ces amusantes compositions comme de délassant intermède, on se refait de l’admiration par la gaîté, et l’on sort de ce musée dispos et sans mal de tête, ce qu’on ne pourrait dire de toutes les galeries de peinture.

Rembrandt est le premier qui attire l’attention, et c’est à lui que nous devrions nous arrêter d’abord; mais, comme nous le retrouverons à Amsterdam, traversons aujourd’hui les salles hollandaises et allons droit au salon consacré aux maîtres étrangers. Là se trouve une des pages capitales d’Holbein et son chef-d’œuvre, je le crois bien, le portrait d’une bourgeoise suisse. Ce tableau remarquable se trouve placé non loin d’une Hêrodiade de Lucas de Leyde, joli visage empreint de cette grâce délicate et un peu mièvre confinant