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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/475

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tant de beaux échantillons du talent d’Holbein, où surtout tant de preuves irrécusables de sa profonde science de métier et de l’expérience de sa main ont été réunis dans cette collection unique de quatre-vingts dessins. Eh bien ! tous ces portraits du musée de Bâle, celui de l’imprimeur Froben, de l’orfèvre Schweiger, du bourgmestre Mayer, du jurisconsulte Ammerbach, du bourgeois anglais à paremens de fourrure, sont parlans, mais rivalisent vraiment de laideur. Ammerbach, ami d’Holbein, fondateur de ce musée de Bâle, dont la base la plus solide est la collection de tableaux et de dessins du maître qu’il avait réunis, Ammerbach attire plus particulièrement l’attention. C’est bien une des plus déplaisantes figures qui se puissent rêver. Ce n’est pas que ce visage soit dépourvu de tout attrait physique; mais cet attrait est mis à néant par une grimace d’aigre dédain que son ami Holbein, dans son amour de la vérité, n’a pas songé à diminuer. Tel était Ammerbach dans l’habitude de la vie, tel Holbein l’a peint avec la franchise que Cromwell réclamait du peintre Lely lorsque ce dernier lit son portrait. « Si vous oubliez une seule de mes verrues, je ne vous donne pas un penny. » Hans Holbein était marié et père de famille, et il a gratifié la postérité des portraits de sa femme et de ses enfans. Grands dieux, quel tableau que ce chef-d’œuvre! et la singulière admiration qu’il inspire! La femme d’Holbein, type de bonne maritorne, a posé sans doute devant son mari au moment où elle venait de s’acquitter de ses fonctions de ménagère. C’est la vulgarité même en négligé malpropre; on dirait vraiment que, pour plus de vérité, Holbein lui a refusé le droit de laver ses mains et son visage, et de se parer de ses beaux atours. Voilà ce qu’elle était six jours de la semaine, a-t-il l’air d’avoir voulu dire à la postérité : le dimanche, elle était un peu moins affreuse, et j’aurais pu vous la représenter telle qu’elle se montrait ce jour-là; mais je vous aurais menti, puisque la majeure partie du temps elle était ce que vous la voyez. Les deux enfans d’Holbein sont debout contre les genoux de leur mère; ce sont deux marmots assez gentils, mal peignés, mal lavés, déguenillés, qui ressemblent à deux petits pauvres des tableaux espagnols. On se demande quel démon a déterminé Holbein à faire un pareil tableau, qui pourrait être regardé comme une véritable satire des siens et une vengeance contre la vie vulgaire que lui faisait incontestablement une telle ménagère. Eh bien ! ce n’est pas un démon qui l’a poussé, c’est une vertu des plus franches et des plus naïves, la sincérité. Ainsi l’amour de la vérité est tel chez Holbein qu’il n’épargne même pas sa famille et ses amis. Avec un peu de bonne volonté, il aurait pu certes corriger la déplaisante grimace d’Ammerbach, déguiser légèrement la vulgarité de sa femme, atténuer le tempérament malsain de la dame suisse. Peu de