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gouvernement français semble avoir pris son parti. Or à qui fera-t-on croire que cette résolution n’est point concertée avec l’Italie, et que cette entente avec l’Italie est sans aucun rapport avec l’ensemble des affaires européennes ? De telle sorte qu’on revient sans cesse à cet état sur lequel on ne ferme un instant les yeux que pour être bientôt réveillé par quelque symptôme plus significatif. Et sait-on quel est le résultat de cette crise indéfinie ? Nous ne parlons pas même de l’énervement moral et politique ; le résultat matériel se chiffre par des pertes de centaines de millions, par les faillites qui se multiplient, par la stagnation qui se produit sous toutes les formes, ainsi que le prouve le dernier compte-rendu de la Banque de France. Déjà en 1867 le chiffre des transactions avait diminué considérablement ; en 1868, il a baissé encore de plus de 270 millions comparativement à l’année précédente, et la grève du milliard enfoui dans les caves de la Banque de France ne fait pas mine de s’arrêter. Voilà une paix singulière qui coûte plus cher qu’une guerre, sans parler des armemens ruineux qui servent à l’étayer.

Tant qu’on ne verra pas plus clair dans ce tourbillon qui s’agite à la surface de l’Europe, il en sera ainsi ; on se défiera, on s’aigrira dans un doute maladif dont on ne voudra même pas guérir. Les intérêts éprouveront de ces crises, de ces ralentissemens qui deviennent redoutables, parce qu’ils prennent un caractère permanent. Les gouvernemens eux-mêmes finiront par se discréditer à ce jeu invariable d’incidens multiples et équivoques où se laisse prendre une crédulité toujours déçue et toujours en éveil. Ce qui manque dans nos affaires extérieures comme dans nos affaires intérieures, c’est la netteté. Ce que la France désire et appelle de tous ses vœux, ce qu’elle sollicite en vérité avec une passion presque naïve et dénuée de toute malveillance, c’est la précision dans les desseins et la clarté dans la conduite, c’est une politique se plaçant simplement et résolument en face des situations, avouant les erreurs, s’il y en a, allant droit au pays pour l’associer libéralement à la direction de ses affaires, au lieu de se traîner dans une stratégie compliquée de demi-confessions et de concessions incertaines.

Après tout, que veut-on dans la politique extérieure ? La France, dans l’intimité de ses aspirations, veut la paix sans aucun doute ; il est pourtant bien certain que devant une situation qui ne serait pas celle qu’elle doit garder en Europe, devant cette situation, si elle existe, la France serait toute prête à montrer que sa virilité n’est ni émoussée ni engourdie. Seulement la première condition est de l’éclairer, de ne pas lui laisser croire tantôt qu’elle doit être satisfaite, qu’elle n’a rien à souhaiter, tantôt qu’elle a raison dans ses amertumes contre les événemens qui se sont accumulés. Si la paix de l’Europe, comme on pourrait s’en douter, dépend aujourd’hui de quelques volontés disposant par un geste de la force de millions d’hommes, il y a de la part de ces volontés, convenez-en, une dangereuse arrogance à venir dire ou à pa-