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Goethe et de Schiller, les lettres se prononcent comme elles s’écrivent, et le w ne se dit point en ou. On peut être un chanteur distingué et n’avoir pas appris ces détails de grammaire; mais, si M. Faure a le droit de les ignorer, le diable, lui, doit les savoir. Ce qu’on peut dire de M. Faure dans ce rôle, c’est qu’il a l’air de bien s’y amuser; tout ce qu’il fait, on voit qu’il le trouve charmant, et puis comme il s’écoute bien chanter!

A-t-il toujours raison? j’aime à le croire, quoique sa voix ne convienne point au caractère. Dans la scène de l’église, dans le beau trio qui précède la mort de Valentin, l’effort devient tel qu’il fatigue même le spectateur. Il est vrai que dans ce trio le voisinage de M. Devoyod compte pour une gêne; à côté de cette voix nerveuse du fier Valentin, la voix lymphatique de maître Méphisto fait grise mine. M. Devoyod, dont les débuts dans le Nélusko de l’Africaine furent remarqués, et qui depuis s’effaçait un peu trop, vient de ressaisir là son avantage. Cette figure de Valentin lui sied; ajoutons que c’est peut-être la moins manquée de tout l’ouvrage. N’était qu’il dit trop souvent : « la croix de ma sœur, » ce Valentin aurait quelque tournure. Vigoureusement encadrée dans ce beau trio de la provocation, la figure ressort au demeurant très poétique sous les traits de M. Devoyod, qui par sa voix superbe et son rude aspect de lansquenet accentue encore davantage la situation. Le duel, la mort, sont d’une réalité pleine d’effroi; on ne saurait tomber l’épée à la main d’une façon plus tragique, et ce tableau qui termine l’acte obtiendrait l’applaudissement d’un Cornélius.

Du reste toute la mise en scène est splendide et vous livre du commencement à la fin la pensée d’un artiste qui s’est voulu bravement passer la fantaisie de traduire en tableaux vivans le poème de Goethe et de donner au public de l’Opéra le spectacle de cette suite de sujets incomparables qui sont ce que la poésie moderne a certainement rêvé de plus pittoresque. J’entends de tous côtés pleuvoir les récriminations. Pourquoi tant d’argent dépensé sur un ouvrage qui musicalement a fait son temps? Et les œuvres nouvelles pendant ce temps, que deviennent-elles? que deviennent ces grands chefs-d’œuvre du passé qu’on devait reprendre? Patience, ne précipitons rien; Verdi travaille, Armide est à l’étude, et quand cette éblouissante pantomime aura fini son train, Robert le Diable, remis à neuf à son tour, sortira de la nuit où très habilement on l’a laissé reposer, et, restauré, rajeuni par les magnificences d’une distribution et d’une mise en scène éclatantes, reparaîtra tout flamboyant pour montrer à ceux qui l’ignorent ce que c’est qu’un grand ouvrage conçu dans les proportions de l’Opéra, et ce que sait faire le génie aux prises avec l’élément fantastique et religieux. En attendant, courons applaudir ce beau spectacle qu’on nous offre, et, jusqu’à ce que Mme Miolan lui succède, jetons des fleurs à la Nilsson dansant son pas de Marguerite.

D’ailleurs la musique manque-t-elle donc au jour où nous sommes,