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chute de Madmoud, et on a vu dans notre étude précédente comment les Serbes appréciaient le traité d’Andrinople, ce traité qui avait mis fin à la guerre de 1829 en affaiblissant la Turquie sans la détruire. Aussi, lorsque Hussein-Capétan, à la tête de ses Bosniaques, se révolta contre le sultan giaour, Milosch n’avait plus à hésiter ; ce sultan giaour attaqué par les musulmans de Bosnie, c’était le sultan à demi européen, le sultan qui consentait aux réformes, celui qui avait rendu aux Serbes une grande part de leur indépendance. La cause de Mahmoud était la cause de la Serbie.

Nous n’avons pas à raconter ici l’insurrection des Bosniaques ; nous devons dire seulement que l’attitude de Milosch contribua singulièrement à la victoire des Turcs, et que cette victoire devint plus tard contre lui un chef d’accusation terrible. Rien de plus injuste pourtant. Il fallait accuser l’histoire, il fallait s’en prendre aux déchiremens séculaires de la famille serbe ; était-ce la faute de Milosch, si les fanatiques soldats de Hussein-Capétan, les champions obstinés de l’islamisme, étaient les fils de Douschan et de Lazare ? Il est facile aux détracteurs passionnés de déclamer sur ce texte : « les Serbes musulmans révoltés contre Mahmoud demandaient asile aux Serbes chrétiens, et les Serbes chrétiens les ont livrés aux Turcs ! Les Serbes musulmans voulaient descendre dans les plaines de Kossovo, venger leurs ancêtres, renverser les successeurs de Murad, et les Serbes chrétiens ont prêté leur appui aux fils de ceux qui ont anéanti l’armée du prince Lazare ! » Certes une telle complication d’intérêts au sein d’une même race est un spectacle horriblement tragique ; mais à qui donc en revient la responsabilité, sinon aux hommes qui, pour sauver leur vie et leurs biens, ont renié la religion de leurs pères ? On vante la piété, la sincérité, les brillantes qualités chevaleresques d’Hussein-Capétan ; qu’importe ? les Serbes musulmans du XIXe siècle, si respectable que pût être leur attachement à la religion de Mahomet, devaient payer pour les Serbes renégats du XIVe siècle. Les questions religieuses dans l’Europe orientale sont liées d’une façon indissoluble aux intérêts nationaux. On ne peut pas dire : « Je suis musulman, mais je suis Serbe ; vous, hommes de ma race, venez-moi donc en aide. » Surtout il est absurde et révoltant de tenir ce langage quand on se lève pour rétablir le vieil islamisme, l’islamisme qui opprimait les chrétiens, l’islamisme auquel les Serbes ont dû arracher leur indépendance en sacrifiant des flots de sang. Aussi n’est-ce pas précisément Hussein-Capétan et les siens qui parlaient de la sorte aux Serbes, ce sont les ennemis de Milosch qui plus tard ont exploité tous ces contrastes. Si Hussein avait voulu venger ses ancêtres tombés au XIVe siècle sur le champ de bataille de Kossovo,