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conseil des dix surveillant de près un doge à peu près réduit à l’impuissance. L’aristocratie en haut, la démagogie en bas, au centre un prince amoindri, telle devait être bientôt la physionomie de l’état, si la constitution avait le temps de produire ses conséquences. Ces dispositions si peu favorables au prince étaient l’œuvre personnelle de Davidovitch, qui, malgré son dévoûment à Milosch, redoutant ses caprices despotiques, avait voulu assurer à tous les conseillers de l’état une situation inamovible. Seulement, dira-t-on, comment se fait-il que Milosch ait souscrit à une telle œuvre ? Comment un esprit si fin, un politique si rusé, n’a-t-il pas soupçonné le piège ? Il n’y a qu’une explication, c’est le trouble même de Milosch au moment d’édicter la loi. On a vu qu’il avait perdu la tête à la nouvelle que la Serbie tout entière marchait sur Kragoujevatz. Il fallait des concessions, il fallait une charte qui rétablît son autorité. Davidovitch profita de la défaillance de son maître, et, chargé d’improviser en quelques jours la loi fondamentale, il songea d’abord à ses propres intérêts. C’est le châtiment des despotes d’être trahis un jour ou l’autre par ceux-là mêmes qui les ont le mieux servis.

Il arriva donc en peu de temps que tout le monde en Serbie, excepté peut-être les seize conseillers d’état, fut mécontent de la constitution. Milosch avait bien la ressource d’en préparer une autre ; il ne paraît pas que son serment l’eût beaucoup gêné. Encore fallait-il quelques ménagemens. On ne pouvait retirer si vite ce qui avait été si solennellement accordé. Le prince espérait sans doute que la nation elle-même demanderait une révision du statut, quand un événement inattendu vint compliquer son embarras. L’Autriche, effrayée de voir un système constitutionnel établi à ses portes, craignant que les idées libérales et démocratiques, si elles s’organisaient en Serbie, ne se répandissent chez les Serbes et les Slaves de son empire, adressa des remontrances officieuses à Milosch. Elle signala même le danger à Saint-Pétersbourg et à Constantinople. En un instant, voilà trois grands empires, Turquie, Russie, Autriche, qui envoient des protestations contre la loi constitutive de la Serbie nouvelle.

Le cabinet russe, qui cherchait un moyen de reprendre la direction de la politique serbe et de déposséder Milosch, saisit avec empressement l’occasion que lui offrait M. de Metternich. Ce n’est point assez dire ; il y mit une sorte de véhémence. Un de ses diplomates, M. le baron de Buchmann, esprit impérieux et hardi, accoutumé à plier les Valaques au gré de son gouvernement, entra en Serbie comme une sorte de vice-roi pour signifier à ces rustres la volonté du tsar. Le prince Milosch était allé au-devant de lui jusqu’à Poscharevatz, et lui avait fait rendre les plus grands honneurs comme