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paru oublier un instant la dette contractée envers le prince ! Chacun de ses actes semblait dire : « Je vous ai pardonné, je vous ai rendu les fonctions supérieures dont vous aviez abusé contre moi ; vous me devez tout, songez-y. » L’ancien despotisme était donc reconstitué, et comme ce despotisme se conciliait sans peine avec les mesures révolutionnaires qui plaisaient au peuple des campagnes, l’opposition était frappée d’impuissance. Cette opposition, nous le savons bien, était une faction oligarchique fort peu digne d’intérêt, puisqu’elle eût sacrifié la cause serbe à la politique russe, et on la verra plus tard, une fois maîtresse du pouvoir, commettre bien d’autres iniquités que celles dont Milosch était coupable. N’importe ; ce fut le malheur de Milosch, ce fut le malheur de la Serbie de n’avoir pu écarter les ambitieux légalement, régulièrement, sans une violation presque continuelle de la loi jurée. Le prince fournissait des armes contre lui à ses ennemis de Saint-Pétersbourg.

Terrifiés par la volonté impérieuse de Milosch, deux des anciens conspirateurs se décidèrent à émigrer. En vain occupaient-ils des postes déclarés inamovibles, ce n’était pas au dedans, ils le sentaient bien, c’était du dehors qu’ils pouvaient agir utilement pour leur vengeance. Stoïan Simitch et George Protitch allèrent s’établir à Bucharest, auprès du consul de Russie, au centre des intrigues qui préparaient la chute du prince héréditaire des Serbes.

A dater de ce moment, une lutte diplomatique très vive, dont le gouvernement de Milosch est le sujet, s’engage sur ce petit théâtre de la Serbie ou dans les contrées environnantes. Les grandes puissances de l’Europe, l’Angleterre et la France, la Russie et l’Autriche, sans parler de la Turquie elle-même, y auront leurs représentans. Au printemps de 1836, l’Autriche envoie un consul à Belgrade ; c’est M. Antoine Méanovitch, Croate d’origine, parlant très bien la langue serbe, mais esprit dédaigneux, caractère hautain, qui blesse Milosch, irrite l’opinion, et compromet les intérêts qu’il devait servir. Que voulait l’Autriche dans cette affaire ? Empêcher Milosch de former ce qu’elle appelait un foyer révolutionnaire en Serbie, car ce foyer l’inquiétait pour ses sujets slaves, et en même temps l’empêcher de fournir à la politique russe un prétexte d’intervention. Au point de vue de l’Autriche, rien de plus logique. Seulement c’était par des conseils, par une action sympathique, non par des menaces, qu’il fallait aider le prince à sortir d’embarras. M. Méanovitch n’était pas l’homme de ce rôle. Aussi l’Autriche, qui avait ici des intérêts tout différens des intérêts russes, va-t-elle être amenée par les fautes de son agent à jouer le jeu des diplomates de Saint-Pétersbourg. D’abord la Russie profite de l’intervention autrichienne pour intervenir à son tour d’une manière plus directe ou du moins plus ostensible qu’elle n’avait fait jusque-là. Le tsar fait remettre à Milosch un