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Ces appréhensions de M. de Barral n’étaient pas sans fondement. M. de Chabrol les partageait. « Le pape, écrit-il de son côté à M. Bigot, m’a paru un peu agité. Il n’a pas dormi, et je lui ai trouvé un air moins gai que de coutume, quoique assez calme… Il a remis la conversation sur les idées que je lui avais déjà développées dans ma visite précédente et m’a témoigné le désir de tout terminer, mais une conscience ombrageuse… Il m’a dit que les cardinaux qui lui avaient été envoyés étaient sans doute prévenus et choisis[1]. » Le préfet de Montenotte rejeta de bien haut une idée aussi fausse. « Il assura Pie VII qu’ils étaient au contraire ses amis les plus chauds et les plus dévoués… Nous savons par son médecin qu’il souhaite que les cardinaux lui parlent d’une manière plus ouverte et avec plus d’abandon. Nous profitons de cette circonstance pour encourager ceux qui sont portés à trop de retenue. »

De la correspondance de l’archevêque de Tours, il résulte que les membres du sacré-collège, malgré leur retenue ou plutôt, croyons-nous, à cause de cette retenue qui semblait excessive au préfet de Montenotte, avaient conquis peu à peu un certain ascendant sur le saint-père. Le cardinal Roverella, en sa qualité de canoniste ultra-montain, était volontiers consulté par Pie VII ; mais le cardinal de Bayanne, au dire de M. de Barral, possédait de préférence à tout autre la confiance du souverain pontife à cause de sa capacité et de sa franchise. « Pour celui-là, continue l’archevêque de Tours, nous n’avons pas besoin de le catéchiser. Il est à nous, il pense juste. Il connaît à la fois le terrain de Paris et celui de Savone. Il sera très utile. Nous sommes contens des autres cardinaux, et nous les travaillons au surplus autant qu’il est possible. L’archevêque de Malines ne s’y oublie pas, et nous ne lui voudrions qu’un peu plus de moelleux dans les formes oratoires… Quant au préfet, il continue à faire merveille, non-seulement avec nous, qu’il reçoit d’une façon charmante, mais avec le pape chaque fois qu’il le voit. Il ne se mêle pas de faire le docteur ; mais il lui dit des choses si raisonnables, si bien adaptées à sa position et toutefois si fortes malgré la douceur et le moelleux qui le caractérisent, que, chaque fois qu’il revient d’auprès du pape, il le laisse plus affermi dans ses dispositions conciliantes. Enfin nous avons beaucoup d’espoir du succès, et votre excellence peut être bien assurée que nous ne négligerons rien pour l’assurer[2]. »

Lorsque des personnages si considérables, et quelques-uns si habiles, mettaient tant de soins à s’entendre pour conspirer ensemble (suivant une expression de M. de Chabrol) contre les scrupules trop

  1. Lettre de M. de Chabrol a M. Bigot de Préameneu, 4 septembre 1811.
  2. Lettre de M. de Barral, archevêque de Tours, à M. Bigot, ministre des cultes, 5 septembre 1811.