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est à la fois si bas et si insolent, il circule de faux oracles sibyllins qui annoncent la fin prochaine de Rome. « Malheur à toi, y est-il dit, ville impure du Latium, bacchante à la couronne de vipères; tu t’assiéras veuve de ton peuple le long des rives du Tibre, qui pleurera sur toi comme sur une épouse délaissée, parce que tes mains impies aimaient à verser le sang! » Ces vers cruels, ce sont les chrétiens qui les ont écrits, et les persécutions qui les ont inspirés. C’est parmi ce peuple mobile et bizarre d’Antioche et d’Alexandrie, qui flatte les Romains et qui les déteste, qui les craint et les raille, qu’ils ont surtout été en faveur; mais à Rome on pensait autrement. C’était le centre de l’empire, on y vivait à l’ombre du Palatin, et l’on y prenait de bonne heure l’habitude d’obéir à ce pouvoir sans lequel on pensait que le monde ne pourrait pas subsister. On supportait avec résignation ses colères et ses cruautés, « comme on supporte la stérilité, les pluies excessives et les autres fléaux de la nature. » Dès que l’orage s’était un peu calmé, on essayait par tous les moyens de se rendre l’empereur favorable. On faisait agir auprès de lui un grand seigneur nouvellement converti, un savant homme qu’il écoutait volontiers, un affranchi qui avait sa confiance, ou même une femme qu’il aimait. Le désir le plus vif de tous les fidèles, ce qu’ils regardaient comme le plus grand des bonheurs pour l’avenir et le but vers lequel il fallait tendre, c’était de voir leur religion bien accueillie de l’autorité et s’appuyant sur elle. Ces dispositions de la communauté chrétienne à Rome sont devenues encore plus claires pour nous depuis les découvertes de M. de Rossi. Nous soupçonnions qu’elle avait toujours cherché à se rapprocher du pouvoir : nous connaissons aujourd’hui l’époque où leurs rapports ont commencé, nous savons de quelle façon et sous quel prétexte ils se sont rencontrés l’un et l’autre, comment l’église a profité des privilèges accordés aux associations populaires, et quelles relations les évêques de Rome ont entretenues avec la préfecture urbaine. Ce sont des renseignemens tout à fait nouveaux, et qui rectifient ou complètent les idées qu’on se faisait du christianisme naissant.

Une autre opinion de M. de Rossi, que dans son premier volume il avait déjà indiquée et sur laquelle il insiste dans le second, c’est que les riches et les nobles sont venus au christianisme plus vite qu’on ne le suppose. On est très tenté de croire que parmi les chrétiens au premier siècle il n’y avait que des esclaves et de pauvres gens. Ils y étaient certainement en très grand nombre, et l’on comprend bien que le christianisme ait fait ses premières et ses plus rapides conquêtes parmi les classes indigentes et inférieures. Il leur témoignait un intérêt qu’ordinairement on ne prenait pas pour elles. Je ne veux pas dire seulement qu’il s’occupait de leur bien-être matériel en