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pareils faits jettent un jour très grand sur la plupart des questions que soulèvent l’origine et la nature de la race. L’analogie autorise à admettre que ce qui s’est passé dans une espèce peut se reproduire dans une autre espèce appartenant au même type général. La variabilité, les lois de l’hérédité agissant soit librement, soit sous la direction de l’homme, suffisent donc pour expliquer l’apparition de races de chiens présentant des caractères analogues à ceux que nous venons de décrire chez le gnato et l’ancon. À plus forte raison peut-on les invoquer avec confiance quand il faut rendre compte de cas beaucoup plus simples, quand il s’agit de chercher comment ont pu se produire des formes bien moins anormales.

Darwin reconnaît du reste ce mode de formation des races reproduisant un caractère apparu subitement ; seulement il n’en tire pas la conclusion que je viens de formuler et qu’il me semble difficile de combattre. Il lui échappe pourtant une réflexion qu’il serait aisé de prendre pour un aveu. « Si, dit-il, les races ancon et mauchamp avaient apparu il y a un ou deux siècles, nous n’aurions aucun document sur leur origine, et les mauchamp surtout eussent sans aucun doute été regardés par plus d’un naturaliste comme la descendance de quelque forme primitive inconnue ou au moins comme le produit d’un croisement avec cette forme[1]. » Cette conclusion eût été en effet inévitable pour quiconque méconnaît plus ou moins la distinction de l’hybridation et du métissage et se laisse guider par la morphologie. À ce titre, Darwin lui-même l’aurait probablement adoptée ; mais le physiologiste l’aurait repoussée, car le croisement du mauchamp, de l’ancon, avec les autres moutons a tous les caractères du métissage et non pas ceux de l’hybridation. Il en est de même pour le gnato, dont on eût certainement fait, non pas seulement une espèce, mais un genre à part, et qui se croise avec le bétail ordinaire aussi facilement que le font les races entre elles[2]. Que l’on reporte sa pensée, en tenant compte de la réflexion de Darwin, sur nos porcs, nos bœufs, nos chiens, et on verra qu’ici encore l’analogie parle entièrement en notre faveur.

Les races extrêmes n’apparaissent pas toujours ainsi d’emblée. Le plus souvent même, elles sont le fruit de modifications successivement accumulées pendant un nombre indéterminé de générations.

    elle les sacrifia, craignant de compromettre la pureté de sa belle race cochinchinoise. (Bulletin de la Société d’Acclimatation, 1854.) Le même phénomène parait s’être produit la même année chez M. Johnston.

  1. De la variation des animaux et des plantes, t. Ier, ch. III.
  2. Lacordaire nous apprend qu’à la Plata quelques personnes ont voulu voir dans le gnato une race indigène, oubliant que tous les bœufs américains sont venus primitivement d’Europe, et qu’en particulier tous ceux du bassin de la Plata descendent d’un taureau et de huit vaches amenées à l’Assomption en 1558 par les frères Goës.